la Terreur de retour à Saint-Denis

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la Terreur de retour à Saint-Denis

d905972ec52d1349a1565b1663982aeaKévin POEZEVARA, Décembre 2015


 

« Or la seule façon, dis-symbolique, de « finir » la Révolution qui s’impose, dans la logique terroriste, c’est de tuer, maintenant ou jamais, les rois ayant régné depuis toujours… » 

« La logique terroriste »… C’est avec le surgissement de ce terme que s’achève « Tuer le Mort », le nouveau texte commis par Paul-Laurent Assoun. Une expression qui au vu de l’actualité la plus brûlante donne toute son ampleur à cet essai, exemplaire (pour le coup) pour ce qui est de valoriser l’apport qu’offre le coup d’œil analytique sur la chose historique. Sans même la coïncidence qui a fait de Saint Denis le lieu du retour de la Terreur, difficile de lire aujourd’hui « Tuer le mort » sans qu’entrent en résonance l’analyse de cette anecdote horrifique (la profanation en 1793, par la horde des frères révolutionnaires, du tombeau des Pères de la France monarchique) et celle des attentats qui ont frappé la région parisienne au mois de Novembre.

Bien des points, parmi ceux que déploie Paul-Laurent Assoun dans cet essai pour produire l’analyse du sac révolutionnaire, peuvent contribuer à nous armer pour une lecture analytique de cette « logique terroriste » qui nous est tristement contemporaine. A commencer par l’insistance qu’il met à confronter, au lieu même de cet acte (qu’il ne néglige pas de nommer par moment « attentat »), la tenue d’une coalition paradoxale entre élan sacrilège et fécondité toujours vive du sacré :

« La Terreur se présente assurément comme déliaison, mais aussi comme la tentative effrénée de réaliser l’idéal envers et contre tout. »

Si la Terreur révolutionnaire cherchait à purger le sol national de toute engeance royaliste et légitimait son « attentat » contre le Totem en invoquant les « crimes de lèse-nation » ou encore « les attentats commis directement contre les droits du corps social » (dixit Robespierre), la Terreur que cherche à mettre en place Daesh s’articule certes moins d’une Révolution que d’une volonté de Restauration. Cela mis à part on voit que dans les deux cas le sujet à attenter est toujours qualifié d’être perverti, à qui l’on reproche son goût du faste, son goût du jouir. Dans les deux cas (qu’il touche au Roi soleil mort ou au noctambule bon vivant) l’attentat terroriste intervient en réponse à ce qui a été vécu comme un attentat à la pudeur :

« Il s’agit bien par cette dissection sauvage improvisée, de faire éclater ce qui fait « tenir les chairs », donc de porter atteinte à l’intégrité spéculaire de l’effigie royale, en « effilochant » ce corps réduit à une marionnette ou à une poupée grotesque. » « C’est bien l’intégrité du corps royal qui est visée, comme s’il s’agissait de ne pas le laisser entier jusque dans la fosse, de peur qu’il n’emportât ce masque de défi dans l’au-delà ».

La Terreur (et l’attentat qui va avec) c’est du Symbole contre Symbole mais aussi de la Jouissance contre de la Jouissance. Au-delà de la question de l’Autre commanditaire de l’acte se pose celle des enjeux économiques qui sous tendent sa mise en place effective et subjective: Sur ce point aussi le texte de Paul-Laurent Assoun peut être éclairant, notamment lorsqu’il met en tension les enjeux mélancoliques et maniaques de la Terreur. On trouve chez Assoun, à propos de la grande « fossoyerie » de 1793, à peu de choses près la même idée que propose Markos Zafiropoulos depuis quelques semaines, lorsqu’il commente les tueries de 2015 soit l’existence d’une « manie de la terreur », cette Terreur avec un grand « T » qui à jubiler dans le meurtre tend à mettre de côté sa réalisation suicidaire. Lorsqu’Assoun s’offre le luxe d’une digression sur l’esthétique de la ruine, isolant sa valeur de sublimation mélancolique, on ne peut s’empêcher de penser que dans leur genre, les terroristes de tout poils, sont avant tout d’efficaces producteurs de décombres. Les terroristes excavateurs de St Denis comme ceux du Stade de France visent l’intégrité monumentale autant que l’atteinte faite à l’unité du corps de celui qui l’habite. De nombreuses fois d’ailleurs, tout au long de son texte, Paul-Laurent Assoun insiste pour nous faire remarquer que le démembrement du cadavre royal par les révolutionnaire correspond justement au sort réservé jusque là aux régicides. Un terme qui connaît ces jours ci un retour en grâce par le biais du discours journalistique, lorsqu’on nous parle, à longueur de JT, du travail difficile des enquêteurs confrontés aux « corps démembrés des terroristes ».

J’arrêterais là cette courte note de lecture qui ne se voulait pas faire la liste exhaustive des liens qu’il est possible de faire entre la Terreur d’hier et celle d’aujourd’hui. Mon but était simplement de faire valoir l’actualité des problèmes soulevés par l’analyse de cet événement vieux de deux siècles et du même coup rendre compte de l’importance du travail que nous présente aujourd’hui Paul-Laurent Assoun avec son Tuer le Mort. Une nouvelle fois, ce texte donne la mesure de l’importance des études psychanalytiques consacrées à notre histoire, essentielles pour ce qui est de pouvoir lire les enjeux de notre contemporanéité.