CHRYSIPPE DEUX FOIS TUE : HISTOIRE ET SAVOIR SITUE – LIONEL LE CORRE
In memoriam
- Psychanalyse et histoire
S’intéresser aux rapports entre psychanalyse et histoire c’est, au moins, identifier trois articulations. La première vise à écrire l’histoire de la psychanalyse, ou plutôt, à considérer la psychanalyse comme un récit et une pratique parmi d’autres récits et d’autres pratiques dont on peut faire l’histoire. Freud s’y est employé au moins deux fois : dans Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique[1] en 1914 et Autoprésentation[2] en 1925. Citons également l’ouvrage de Florent Gabarron-Garcia, Histoire populaire de la psychanalyse[3], qui rappelle le legs révolutionnaire de notre discipline et combien la dite neutralité de la psychanalyse dans le débat public – neutralité dont je rappelle qu’elle est passée d’un usage technique pour les conduites de cure à un positionnement idéologique de l’IPA face à la montée des totalitarismes européens dans les années 1930 – cette neutralité donc, est une situation hautement politique justifiant les pires positions réactionnaires de cette psychanalyse crasseuse qui encombre notre champ.
La deuxième articulation entre histoire et psychanalyse établit le récit des notions ou concepts freudiens et lacaniens, et leur évolution, dont l’examen se déduit de sources nouvelles ou d’un point de vue renouvelé. Ces notions ou concepts ont une histoire et une géographie à restituer minutieusement pour un meilleur entendement des questions cliniques. Dans mon livre, L’Homosexualité de Freud[4], j’ai montré que l’invention de la psychanalyse – et en cela je crois m’inscrire dans l’orientation de Lacan qui évoque ce point dans le séminaire II[5] –, que l’invention de la psychanalyse donc, est à saisir comme le produit du transfert d’un homme pour un autre homme, en l’espèce Freud et Fliess. Certes, il ne s’agit pas d’oublier le rôle crucial des premières analysantes hystériques dans la découverte freudienne. Mais j’affirme que ne pas apercevoir cette articulation si spéciale entre Freud et Fliess, ce transfert homosexuel qui le poursuit toute sa vie et qu’il désigne ainsi, nous désigne comme agent du refoulement refusant d’apercevoir que la scène primitive du récit psychanalytique est homosexuelle, que le préjugé de la guérison de l’homosexualité et autres aberrations sexuelles, son impensé fondamental. Ce déni nous concerne tou.te.s et livre une clé pour comprendre l’accueil si problématique des questionnements LGBTQI+OC[6] dans notre champ.
Enfin, la troisième articulation relève que l’inconscient lui-même, en ses formations, n’échappe pas à l’histoire, que la matière même de la psychanalyse, l’inconscient et les structures subjectives, est travaillée par l’histoire. Lacan a ainsi pointé l’historicité des opérateurs de la structuration subjective en articulant subjectivité chrétienne et émergence du désir du névrosé, comme l’a montré Markos Zafiropoulos dans Œdipe assassiné ?[7]. C’est en 1958 dans Le Désir et son interprétation, que Lacan effectue une refonte doctrinale du complexe d’Œdipe. Sa thèse principale, à l’inverse de Freud, établit que : « le désir œdipien prend son départ du vouloir de la mère et non de celui de l’enfant comme chez Freud »[8]. Bref, à cette date et pour Lacan, l’enfant est l’objet du désir de la mère, désir duquel il se déprend par le fantasme qui devient un opérateur de défense pour l’enfant face au désir de la mère. Cette révision de la clinique de la castration se déduit de l’analyse d’un corpus de mythes qui ont engendré les créations poétiques majeures que sont Œdipe Roi de Sophocle et Hamlet de Shakespeare. Autrement dit, d’Œdipe Roi à Hamlet, Lacan situe historiquement l’émergence du fantasme (au plus tard) à l’orée du XVIIème siècle.
J’en reste là sur ce point non sans souligner ceci : contrairement à Freud, Lacan estime que les formations de l’inconscient se déduisent des mythes et de leurs variations et qu’à ce titre, il est possible de chercher à les dater. Or, j’affirme que le repérage de cette variabilité historique des formations de l’inconscient pourrait permettre de sortir des positions éternitaires de la psychanalyse notamment sur les problématisations LGBTQI+ ou décoloniales[9]. Cette historisation des formations de l’inconscient est à entendre aussi comme le pendant au plan du cas, du positionnement anthropologique de Lacan contestant très tôt dans son enseignement, l’universalité de l’Œdipe, dont il a pointé les conditions sociales – donc la variabilité –, dès 1950, dans l’article « Introduction aux fonctions de la psychanalyse en criminologie »[10].
Reprenant la question du complexe d’Œdipe, Lacan s’appuie sur les principales sources mythologiques occidentales en estimant, contrairement à Freud, que « les créations poétiques engendrent, plus qu’elles ne les reflètent les créations psychologiques »[11]. Comme le rappelle Zafiropoulos, Lacan « traque à la fois ce que le sujet de l’inconscient doit depuis toujours aux textes fondateurs de la mythologie occidentale [par ex. Œdipe Roi de Sophocle] mais aussi ce qu’il doit à l’évolution historique de cette mythologie »[12] (Hamlet de Shakespeare). Bref, d’Œdipe qui se crève les yeux pour prix à payer des effets de la loi à Hamlet tergiversant et reculant devant l’acte, Lacan en déduit que la structuration du sujet de l’inconscient est, pour partie, soumise à ses conditions historiques.
Ici, je voudrais insister sur la portée heuristique de la position de Lacan lorsqu’il affirme que les « créations poétiques engendrent plus qu’elles ne les reflètent les créations psychologiques » en rappelant le contre-exemple qui a donné lieu à une controverse entre psychanalystes et antiquisants. Lorsqu’en octobre 1966, Didier Anzieu publie l’article intitulé « Œdipe avant le complexe ou l’interprétation psychanalytique des mythes », il s’inscrit effectivement dans la perspective freudienne « en essayant de refaire avec les données que nous possédons en 1966, le travail que Freud a commencé en 1897 et que, jusqu’à Moïse et le Monothéisme, il n’a cessé d’enrichir »[13]. Cette perspective, positiviste, qui cherche à établir le primat de la structuration œdipienne sur les formations mythiques sans s’interroger sur ses propres conditions d’énonciation, sera vertement critiquée par Jean-Pierre Vernant en 1967, qui dénoncera, avec ironie, la position non située d’Anzieu :
« Immédiatement lisibles, entièrement transparents à l’esprit du psychiatre, [l’interprétation du mythe et du drame grecs] livrent d’emblée une signification dont l’évidence apporte aux théories psychologiques du clinicien une garantie d’universelle validité. Mais où se situe ce « sens« qui se révélerait ainsi directement à Freud et, après lui, à tous les psychanalystes comme si, nouveaux Tirésias, un don de double vue leur avait été octroyé pour atteindre, par-delà les formes d’expression mythiques ou littéraires, une vérité invisible au profane ? »[14]
Or, la question de Vernant – « Où se situe ce ‘’sens’’ ? » – interroge le positionnement épistémologique du psychanalyste qui, dès qu’il renonce à questionner le savoir en soi pour préférer produire du savoir en plus, rate peut-être son but. Bien sûr, la question de Vernant – pour qui les psychanalystes seraient les « nouveaux Tirésias », figure mythologique qui passe d’un sexe l’autre – entre en résonnance avec notre débat contemporain où les questions LGBTQI+OC sont l’objet – a minima – de malentendus douteux. Ici je vous fais part de ma consternation devant les propos de Roudinesco et de Miller. Au fond, si le bistrot des Cassandre a rouvert ses portes, je note aussi que nous retrouvons les mêmes propos affolés – propos qui ne sont jamais que des discours d’opinion – de celles et ceux qui pensent apercevoir désormais les ravages d’une épidémie transgenre sous les formes contemporaines d’expression de soi, ou les effets d’un ordre – « l’ordre trans » – qui justifierait une sorte de croisade psychanalytique au nom des sempiternels intérêts de l’enfant, figure paradigmatique dont il conviendrait pourtant d’entendre la déconstruction déjà engagée dans notre champ il y a plus de trente ans[15]. Mais la question de Vernant – d’où parle le psychanalyste ? – entre aussi en résonnance avec l’histoire de la psychanalyse.
Bien sûr, la question des savoirs situés du psychanalyste est contingente du développement des théories marxistes et féministes dont elle procède. Mais, elle concerne aussi le catholicisme[16]. J’en veux pour preuve les débats sur la question de la formation des psychanalystes catholiques à l’orée des années 1950, débats dont témoigne la communication du Révérend Père Louis Beirnaert intitulé : « Est-il souhaitable qu’un croyant soit toujours analysé par un croyant ? »[17] prononcée lors du Premier congrès international des psychiatres, des psychothérapeutes analytiques et des psychopédagogues catholiques. Ce jésuite, proche de Lacan, parmi d’autres religieux plus connus comme Marc Oraison estimait que la psychanalyse avait une pertinence dans la délicate question du discernement des vocations. De Freud, on retenait la méthode thérapeutique mais on se dissociait de sa doctrine pansexualiste. Faute de temps je ne signale que le texte de Beirnaert, mais on retiendra que plusieurs des grands noms de la psychiatrie et de la psychanalyse de l’époque affirment leur catholicité et agissent situés par ce point de vue ; par ex. : Roland Dalbiez, auteur de la première thèse française sur l’œuvre de Freud, Françoise Dolto, Francis Pasche, Henri Ey[18] ou encore Paul Jury, premier prêtre français à effectuer une cure analytique, qui donne régulièrement des conférences sur la psychanalyse d’enfants à la Société Psychanalytique de Paris dès les années 1930. Citons également les revues Psyché de la pétulante Maryse Choisy ou les Etudes carmélitaines du Père Bruno de Jésus-Marie, à l’occasion soutien du Maréchal Pétain[19], qui tentent d’établir un dialogue entre anthropologie catholique et psychanalyse.
Je renvoie à la réédition de l’ouvrage d’Agnès Desmazières, L’Inconscient au paradis[20], non sans faire l’hypothèse que la réaction si virulente des quelques leaders du champ psychanalytique français lors des votes de la loi pour le Pacs en 1999 et pour le Mariage pour tous en 2013 trouve peut-être ici une explication. Ces psychanalystes qui prirent position lors de ces débats furent formés par d’autres psychanalystes qui eux-mêmes macéraient peut-être un peu trop dans les vertus catholiques. Se peut-il alors que leur réaction si consternante ne soit que la manifestation d’un refoulé légué par ceux qui les formèrent ?
Cette question je la formule à l’appui d’un article anonyme (toutefois écrit à quatre mains) intitulé « La Passe actuelle », paru dans L’Ordinaire du psychanalyste[21] en 1977, où les auteurs se proposent d’envisager ce qu’il en est du dispositif de la passe et des difficultés qu’il soulève. Ce qui m’intéresse dans ce texte, c’est son caractère de témoignage qui donne à voir quelques-unes des croyances alors en jeu en livrant un état de la position du psychanalyste – son ratage aussi – qui, tout à la fois, séduit par sa modernité et en même temps interroge quant à ce qui anime, au fond, cette position. Le premier fragment (moderne) est celui-ci :
« Autres questions du même ordre, mais plus extrêmes, du moins en apparence : peut-on être homosexuel(le) et psychanalyste ? Peut-on être fou et psychanalyste ? Et pourquoi bien sûr ne pas poser la question : peut-on être analyste et femme ? Pour celle-ci, c’est pour l’essentiel poser la question de la légitimité de la fonction sociale de la femme, car, bien sûr, il n’était pas encore venu à l’idée des analystes de se demander : peut-on être analyste et homme ? »[22]
J’y entends un questionnement quant au style de psychanalyste qu’il nous est donné d’être en fonction de notre propre structure – notre style de névrose par exemple – à articuler aux manières d’être qui nous définissent selon un sens de la fluidité que ne renierait pas un psychanalyste queer. Le second fragment (plus questionnant) conclut l’article :
« Si la passe, et ce qu’elle tente d’élaborer, ont été mis au centre de l’Ecole par Lacan, c’est bien pour manifester ainsi que le Savoir analytique ne suffit en rien à fabriquer un analyste. Ce qu’il y faut : possibilité d’ouverture sur le texte inconscient – le sien et celui de ses analysants – (sic) suppose un travail sur soi dont il nous semble que, sans une certaine grâce au départ, il restera toujours impossible à rendre fructueux. Nous ne disons pas que l’on devient analyste par la grâce de Dieu, mais que sans elle[23], on ne le devient certainement pas. »[24]
Pas de psychanalyste sans la grâce de Dieu… est-ce donc là le grand secret de la psychanalyse lacanienne formulé par celles et ceux qui cherchent un évangile à leur pratique là où d’autres peuvent y voir un proton pseudos, prémisse erronée d’un raisonnement logique ? Je laisse la question ouverte non sans conclure rapidement ce point sur les savoirs situés avant d’en venir au cœur de ma communication. Premièrement, je rappelle, avec le sociologue Antoine Idier, que depuis trente ans,
« il n’y a pas eu d’adversaire plus acharné que la psychanalyse [disons une certaine psychanalyse] de toutes les transformations des structures sociales et légales de la sexualité, de la conjugalité, de la parenté et de la famille – au nom de l’ordre symbolique, de la différence entre les sexes, de la préservation de la culture, et de l’expertise que s’est attribuée la psychanalyse [disons une certaine psychanalyse] pour dire les formes « normales » de la vie sociale. »[25]
Deuxièmement, je forme l’hypothèse qu’un défaut de questionnement sur ce qui motivait leur prise de parole réactionnaire est peut-être la cause du violent retour de refoulé que subirent celles et ceux qui intervinrent de manière si obscène lors des débats sur l’alliance et la filiation homosexuelles car ils ignoraient sans doute d’où ils prenaient la parole, autrement dit, quelle était leur situation. Troisièmement, on peut bien ricaner des tentatives plus ou moins heureuses de formulation d’une position du psychanalyste LGBTQI+OC, mais, de grâce, faisons le ménage dans nos débats internes quant à l’intention du psychanalyste, dont je crois avoir suffisamment pointé, qu’à un moment donné, pour quelques-uns – des propos du Révérend Père Beirnaert en 1949 à ceux de L’Ordinaire du psychanalyste en 1977 –, le fondement divin de leurs pratiques ne faisait ni doute, ni obstacle.
J’en viens à l’histoire de Chrysippe indissociable de celle de Laïos, père d’Œdipe. Cinq variantes nous sont parvenues :
« La majorité de nos sources considèrent comme le fils illégitime de Pélops et d’une nymphe, Axioché ou Danaïs. Quand Amphion et Zèthos bannirent Laïos de Thèbes, celui-ci fut accueilli par Pélops qui lui offrit l’hospitalité, mais Laïos en abusa : en apprenant à Chrysippos l’art de conduire un char, il tomba amoureux du jeune homme qui se distinguait par sa beauté. De honte, Chrysippos se suicida. Pélops maudit alors Laïos, lui souhaitant « de ne pas avoir d’enfant, et s’il en avait un d’être tué par lui« . C’est là l’origine de la malédiction des Labdacides. »[26]
Autre variante :
« Pelops envoie après l’enlèvement de son fils chéri ses deux autres fils, Atrèe et Thyeste, qu’il avait d’Hippodamie, à la poursuite de Laïos. Quand ils le ramenèrent, Pélops pardonna son crime à Laïos parce que celui-ci avait agi par amour. Mais constatant la préférence marquée de Pélops pour son fils illégitime et craignant qu’il ne lui réservât la succession sur le trône, Hippodamie tenta de persuader ses deux fils de tuer leur demi-frère. Quand ils refusèrent de le faire, elle le frappa elle-même avec l’épée de Laïos qu’elle laissa fixée dans le corps. « Laïos fut suspect à cause de l’épée, mais fut sauvé par Chrysippos qui, avant de mourir, révéla la vérité ». Pélops condamna ensuite Hippodamie à l’exil. »[27]
Version divergente : « les deux fils se chargèrent de la besogne avec l’accord de leur mère et jetèrent Chrysippos dans un puits. Pélops chassa alors ses fils de son territoire en les maudissant. »[28] Un autre variante empruntée à Praxilla de Sicyone, relate que Zeus enleva le fils de Pélops, lequel du reste, fut lui-même l’éromène de Poséidon. Mais la variante la plus troublante se lit à la scholie au vers 60 des Phéniciennes d’Euripide : « Certains disent que Laïos fut tué par Œdipe parce que les deux aimaient Chrysippos »[29].
Le temps me manque pour établir convenablement les préalables à l’abord psychanalytique des mythes. Je rappelle, tout de même, que la définition contemporaine du mythe – disons celle de Lévi-Strauss[30] et la manière par laquelle il la décolle de la question des rites[31]) – cette définition contemporaine donc, n’était pas celle des Grecs de l’Antiquité qui parlaient plutôt de palaia, terme désignant les « choses du passé »[32].
De même, je rappelle avec William Marx[33] l’écart entre la tragédie grecque, dont il ne reste que des ruines textuelles vieilles de 2500 ans, et le sentiment tragique qui découle de l’affrontement de l’homme et du destin, que l’on doit aux Romantiques allemands de la fin du XVIIIème siècle. Des auteurs les plus fameux comme Eschyle, Sophocle et Euripide – donc, en omettant les autres comme Thespis, Phrynicos, Pratinas, Choerilos, Philoclès, Xénoclès, Agathon, Euphorion, Ion de Chios ou Critias[34] – ne restent que des bribes : soit 32 tragédies sur un total estimé de 220 pièces à rapporter aussi aux 638 tragédies jouées à Athènes entre 412 où Eschyle créa Les Perses, et 401, où Œdipe roi fut représenté de façon posthume. Moins de 5% donc, la perte est considérable[35]. Mais, plus irrémédiable encore est la perte du lien entre cette littérature et les lieux où elle s’incarne :
« Nous lisons les textes anciens [nous dit Marx] à travers le filtre insidieux d’un art autonome, à vocation universelle, d’une intellectualité supérieure, détaché le plus possible de son contexte – des lieux, des temps, des dieux. »[36]
En somme, ce que nous savons est faussé par ce que nous avons perdu irrémédiablement, c’est-à-dire : « Un lien nécessaire et vital entre une expression verbale et une situation spatiale et géographique. Et Marx de conclure : « L’interprétation structuraliste occupe le vide laissé par des lieux désormais absents. »[37] Or, notons que nous retrouvons encore la question du savoir non situé que Marx illustre d’un bon mot : « La tragédie racinienne, dit-il, est sans racine. Mondialisée déjà. »[38]
Donc, des textes et des lieux, mais aussi des textes et des performances. Comme l’indique Sandra Boehringer : « Rien de plus fluide et plastique qu’un mythe. (…) Sans cesse reformulés, ces récits venus du passé prennent sens au moment de leur performance, dans le contexte précis où ils sont à nouveau chantés, racontés, écrits, peints, activés. »[39] Or, ce potentiel performatif du mythe autorise à reconsidérer, d’un point de vue psychanalytique, le mythe œdipien à l’aune du récit chrysippien. Car cette performativité du texte antique que nous avons perdue, selon Marx, cette parole qui agissait, voire qui soignait, cette catharsis théorisée par Aristote n’est pas sans lien avec la psychanalyse freudienne. Freud, en effet, était le neveu par alliance de Jacob Bernays[40], philologue renommé, qui s’intéressa à l’interprétation psychologique de la catharsis aristotélicienne[41], dont Freud en 1895, avec Breuer, proposera une méthode – la « méthode cathartique »[42] – ouvrant ainsi un passage entre les effets attendus du drame grec sur son public au Vème siècle avant notre ère, et la future cure par la parole qui s’inventait alors dans la Vienne fin de siècle.
J’en viens à l’abord psychanalytique de l’histoire de Chrysippe. Que nous disent Freud et Lacan des origines de la malédiction des Labdacides, de ce crime, inaugural, presque homosexuel – pour paraphraser Marcela Iacub[43] – qui fait d’Œdipe un enfant du malheur ? Rien… ni Freud, ni Lacan ne se réfèrent à Chrysippe bien que son histoire motive décisivement celle d’Œdipe[44]. Point de sources où Freud expliquerait la raison pour laquelle il ne mobilise pas ce savoir-là dans sa conceptualisation du complexe d’Œdipe. Pourtant, Freud était au fait de ses humanités[45], et il se tenait informé des derniers travaux des confrères philologues ou archéologues[46]. S’agissant du séminaire de Lacan, nous trouvons le nom propre « Chrysippe » à trois reprises mais il s’agit du philosophe stoïcien, Chrysippe de Soles[47] qui n’a rien à faire avec notre propos. Les références à Laïos sont modestes aussi : seulement deux mentions l’une dans L’Envers de la psychanalyse[48], l’autre dans Le Moment de conclure[49], mais rien sur la mort de Chrysippe, ses conséquences funestes sur la lignée de Laïos et la valeur structurale de cette mort. Plus curieux, alors qu’il traite de la relation de l’éraste et de l’éromène dans le séminaire Le Transfert, Lacan ne convoque pas la légende de Laïos et de Chrysippe alors que selon les Anciens – certains du moins -, il s’agirait du premier mythe homosexuel du monde grec[50]. Relevons enfin que Lacan, lecteur de Platon, ne pouvait ignorer son ultime dialogue, Les Lois, où Laïos est cité pour ses mœurs contraires à la loi naturelle[51] ou encore le Cratyle qui mentionne le meurtre de Chrysippe par Atrée[52].
Dans le cadre de cette communication, il n’est pas utile de passer en revue, minutieusement, la bibliographie psychanalytique portant sur l’histoire de Laïos et Chrysippe. Otto Rank est vraisemblablement le premier à traiter psychanalytiquement les aventures de Laïos et de Chrysippe dans son ouvrage Le Motif de l’inceste dans la poésie et les légendes, paru en 1912[53], situant ces aventures dans un temps « paléopsychologique » qui annonce téléologiquement ce que l’on sait déjà du complexe d’Œdipe. L’auteur le plus cité reste Georges Devereux pour son article « Pourquoi Œdipe a tué Laïos » paru en 1953[54], même si l’ethnopsychiatre plaque, sans nuance, sur les sociétés de la Grèce ancienne des concepts issus de notre époque[55]. Signalons également l’ouvrage de Marie Balmary L’Homme aux statues. Freud et la faute cachée du père[56] paru en 1979 qui mobilise la légende chrysippienne articulée au drame œdipien pour relater dans une sorte de psychobiographie de Freud, l’abandon de la théorie de la séduction en 1897 à l’aune des désordres sexuels de Jacob, père de Freud. Au fond, et pour reprendre une formule de Jean Bollack, l’analyse de Balmary nous conduit « jusqu’à une tragédie dans la tragédie, qui serait la vraie, et par rapport à laquelle la pièce que nous lisons [Œdipe roi] est tout entière un épilogue »[57]. Je termine en rappelant bien sûr, le numéro spécial de la RFP de 1993 intitulé Laïos pédophile[58] où, au fond, Chrysippe n’est jamais l’objet des analyses proposées.
Pourquoi alors s’intéresser à la légende de Chrysippe, légende connue par des sources lacunaires qui sont, pour la plupart, des mentions manuscrites de commentateurs dont la plus célèbre d’entre elles, dite « Résumé de Pisandre », figure à la fin des Phéniciennes[59] d’Euripide ? D’une part, même si effectivement plusieurs siècles séparent généralement un drame antique des scolies qui prolifèrent dans les marges des quelques manuscrits qui ont échappé à la destruction – nous en avons un bel exemple à la BNF sous la cote Parisinus graecus 2713 – plusieurs vers des drames grecs évoquent de manière plus ou moins allusive « les malédictions héritées de Laïos » pour citer les vers 1610-1614 des Phéniciennes ou encore, dans Les Sept contre Thèbes d’Eschyle qui revient sur « la faute ancienne [de Laïos], sitôt punie, mais dont l’effet dure jusqu’à la troisième génération. »[60] D’autre part, la figure de Chrysippe a été le thème dans l’Antiquité et jusqu’à l’époque contemporaine de plusieurs drames et de comédies[61]. Enfin, si nous prenons au sérieux l’indication méthodologique de Lévi-Strauss[62] concernant l’analyse des mythes qui requiert d’en comparer toutes les variantes, sans tenir compte de leur caractère de vraisemblance, pour en « isoler des paquets de relations », alors il n’y a pas d’obstacle à l’examen du récit chrysippien, notamment l’invraisemblable histoire motivant le meurtre de Laïos par Œdipe par amour pour Chrysippe. Enfin encore, si nous autres les psychanalystes renonçons à interpréter ce que nous comprenons des mythes grecs (pour les Grecs), il est pertinent d’interroger ces histoires anciennes dans leur entièreté, en l’espèce ici, l’histoire d’Œdipe et de sa descendance maudite, mais aussi celle de ses ascendants, et en particulier, celle de Laïos et Chrysippe.
Et que nous disent-ils ces textes et leurs scolies si l’on met l’accent sur la figure de Chrysippe et non sur celle de Laïos ? Je n’ai pas évidemment le temps de déployer toutes les conséquences mais je peux tout de même pointer ceci : dans toutes les variantes disponibles, Chrysippe est celui qui doit immanquablement mourir[63]. Si Chrysippe est l’objet d’un viol (celui qu’aurait commis Laïos), il est aussi, selon les variantes, un objet d’amour (de la part de Pélops en tant que fils préféré mais aussi de Laïos qui obtient ainsi le pardon du père de Chrysippe, et aussi d’Œdipe) ou celui qui est jalousé par ses demi-frères (et leur mère Hippodamie). Donc, si Chrysippe est la figure de celui qui doit mourir, c’est aussi la figure de laquelle on se sait rien. Les pertes documentaires ne permettent pas de connaître qui était Chrysippe au-delà des informations lacunaires que nous possédons, mais, finalement, les trois Tragiques grecs en parlent surtout de manière allusive. Chrysippe est aussi l’objet d’un deuil dont on ne sait rien, celui de Laïos voire d’Œdipe. Bref, figure mineure, Chrysippe vient signifier l’effet d’une double perte, ignoré qu’il est, tout à la fois de l’Œdipe sophocléen par exemple et de la tradition et, aurions-nous envie d’ajouter, des psychanalystes eux-mêmes, à commencer par Freud et Lacan. Cette perte est pourtant là, elle existe, elle se répète et semble condamnée à rester inaudible. Laïos a aimé et perdu Chrysippe avant sa rencontre avec Jocaste. A la naissance d’Œdipe, il est le seul à mesurer les conséquences funestes qui attendent sa lignée au nom de celui dont le nom n’est jamais prononcé ensuite. Invisibilisation, négation de la négation, la figure de Chrysippe a une place à part dans la généalogie œdipienne.
Pourtant, Lacan, en 1958, semble ouvrir une voie lorsqu’il reconsidère le complexe d’Œdipe comme effet du « vouloir de la mère et non du désir de l’enfant » comme je l’ai déjà indiqué. En effet, nous dit Lacan, la solution par le fantasme censé arracher l’enfant -– tout genre confondu – à l’êtrification phallique où le place le vouloir de la mère, est une opération qui s’apparente à un deuil au sens qu’en donne Freud d’une « incorporation symbolique de l’objet perdu »[64]. En effet, prévient Lacan, ce qui est en jeu ici c’est bien un retrait d’une part de libido pour l’enfant qui s’arrache ainsi à l’êtrification phallique maternelle par la voie de l’automutilation. « Chez Lacan, l’enfant consent par amour à endosser au nom du père cette loi, étant entendu qu’il doit pour cela se destituer de sa posture de toute puissance phallique où le précipite sa naissance en tant qu’objet du désir de l’Autre maternel ». Or, le deuil du phallus selon Lacan est à entendre comme une « forclusion inversée » comme l’a bien vu Markos Zafiropoulos :
« Le deuil, qui est une perte véritable, intolérable à l’être humain, provoque pour tous un trou dans le réel. La relation dont il s’agit est l’inverse de celle que je promeus devant vous sous le nom de [forclusion] quand je vous dis que ce qui est rejeté dans le symbolique réapparait dans le réel. Cette formule comme son inverse sont à prendre au sens littéral. » [65]
Autrement dit, le deuil de l’être phallique dans quoi s’engage le petit d’homme est à entendre comme ce qui du réel est rejeté pour réapparaitre dans le symbolique, provoquant un trou dans le réel nous dit Lacan, opération par laquelle le sujet s’arrime au symbolique. Mais alors, si on tient compte dans le drame œdipien qui se joue pour le petit d’homme, de l’histoire de Laïos qui porte le deuil de Chrysippe, alors, l’objet perdu d’Œdipe entre en résonnance, mais pour d’autres motifs dont Œdipe ne sait rien, avec l’objet perdu et dénié de Laïos, son père. Bien sûr l’automutilation à quoi consent le petit d’homme rejouant le drame œdipien n’est pas de même nature que le deuil de l’objet dénié qu’est Chrysippe pour Laïos, même si, nous dit Lacan, l’effet produit – un trou dans le réel – reste le même. Bien sûr aussi, ce que j’avance ici devra trouver sa transcription clinique et sociale. Une piste serait, pour tout petit d’homme, un tabou de l’homosexualité – en tant que le deuil de Chrysippe reste non résolu pour le père d’Œdipe – qui précèderait le tabou de l’inceste.
Au moment de conclure, il est temps d’articuler entre eux les divers éléments dégagés jusqu’à présent et d’ouvrir des perspectives.
Premièrement, à l’appui du travail de Markos Zafiropoulos, j’ai rappelé que l’inconscient et les structures subjectives qui se déduisent des appareils mythologiques sont, pour partie, déterminés par l’évolution de ces appareils dont l’efficace se déduit aussi de leur performativité et la manière dont les formes d’expression littéraire les modifient. Cela signifie que l’abord structural de ce que nous nommons désormais des mythes est indissociable de l’acte créatif par lequel ils se manifestent. Au fond, j’ai tenté de faire apercevoir que, si la vieille histoire de Laïos et Chrysippe – dans l’échec même de son retour –, nous redevient audible, c’est parce que désormais, fondamentalement, nous pouvons à nouveau l’entendre. Autrement dit, parce que l’époque a changé, ce dont est porteur le mythe chrysippien devient à nouveau reconnaissable, à défaut d’être reconnu. Or, lors de notre précédente journée d’étude en 2019[66], j’avais montré que Lacan évoquant dès 1972, sous forme de boutade, la situation d’un homosexuel qui consulterait un psychanalyste en disant ne plus pédaler normalement, Lacan donc, repérait alors une normalisation sociale de l’homosexualité. Cette normalisation n’annonçait rien de moins que la fin de la hiérarchisation juridique du sexuel prévalant alors dans le monde occidental – donc, pour une part, dans le symbolique – et cette remise en cause de la hiérarchisation du sexuel en son versant homosexuel, c’est à Gide qu’il l’imputait. Gide, dont Lacan plaçait Corydon au même plan que les Trois essais sur la théorie sexuelle[67], indication que l’écrit gidien était pris au sérieux par le psychanalyste. Question : que déclarait Lacan à propos de ces homosexuels qui ne pédalaient pas normalement ? Réponse : (je cite) « Il y a foule. (…) Ça va devenir un embouteillage »[68]. Et bien cette foule d’homosexuels – qu’on dirait LGBTQI+OC aujourd’hui – nous l’avons ! Et, depuis Gide, d’autres auteurs ont su écrire depuis la place de celui qui est immanquablement condamné à se taire – celle de Chrysippe –, ou plutôt, depuis ce trou, nous faisant entendre un peu de cette voix perdue, tourmentée, offensée : Marcel Jouhandeau, Jean Genet, Mohamed Choukri, Pier Paulo Pasolini, plus près de nous Guillaume Dustan ou Abdellah Taïa. Au fond, j’aperçois ici, du drame de Chrysippe aux formes contemporaines de l’abjection et du rejet, une généalogie littéraire qui pourrait nous enseigner, sur la valeur inconsciente du désir homosexuel à la manière de l’articulation entre Œdipe et Hamlet proposée par Lacan.
Deuxièmement, si comme je crois l’avoir démontré, la psychanalyse est le produit d’un transfert homosexuel entre Freud et Fliess, j’ai également indiqué que ni Freud, ni Lacan n’en ont tiré les conséquences pour la théorie psychanalytique, spécialement pour le complexe d’Œdipe et le tabou de l’inceste qui s’en déduit, puisque les deux ont oblitéré, dans leur formalisation théorique, l’origine (chrysippienne) de la malédiction des Labdacides, pourtant riche de sens. Pour Lacan, je n’ai pas encore d’argument à proposer. S’agissant de Freud, je fais l’hypothèse – et en avançant ici sans nuance pour aller à l’os de la question – qu’il n’a pas pu apprécier la portée heuristique du drame chrysippien et le tabou de l’homosexualité dont cette appréciation est porteuse car, d’une part, il a porté l’effort sur le tabou de l’inceste oblitérant cet autre tabou, le tabou de l’homosexualité qui aurait annulé – à être reconnu comme tel – l’effort métapsychologique plaçant l’homosexualité comme arrêt du développement vers une sexualité hétéronormée. Et c’est peut-être dans cette oscillation freudienne vis-à-vis de la question homosexuelle que ressentent celles et ceux qui s’intéressent à l’abord freudien de l’homosexualité que nous trouvons la preuve de la difficulté de Freud à délinéer les contours de cette question. En effet, nous avons montré dans notre ouvrage, en portant l’attention sur le lexique freudien de l’homosexualité masculine[69], que les dits de Freud sur la question homosexuelle situent le problème ou comme « un arrêt spécifique dans le développement »[70] ou comme un opérateur placé au cœur de la métapsychologie qui rend compte tout à la fois de la relation d’objet, du narcissisme, de l’entrée dans la paranoïa, du lien social ou du transfert[71].
Troisièmement, si la plupart d’entre nous ici se déclarent psychanalystes – c’est-à-dire que nous aurions opéré le distinguo souligné par Lacan entre le désir du psychanalyste et le désir d’être psychanalyste[72] –, je soutiens qu’il est illusoire de s’imaginer n’être que psychanalyste, même dans l’exercice de l’art – qu’il s’agisse des conduites de cure ou des contributions aux problèmes cruciaux de la psychanalyse – comme le montre à l’envi et de manière quelque peu paradoxale les termes viciés du débat sur la question des sexualités minorisées. Bref, nous qui nous déclarons portés par le désir de Freud, nous ne soutenons cette position qu’à en savoir un bout sur le reste… c’est-à-dire nos préjugés : peut-on être homosexuel et psychanalyste ? Fou et psychanalyste ? Femme et psychanalyste ? Homme et psychanalyste ? Etc.
Car c’est de cette position de psychanalyste et d’homosexuel que je peux endosser ce qu’il me revient de vous dire ici, en confirmant que l’enjeu pour moi est bien de chercher des arguments internes à la psychanalyse au regard des problèmes construits. Donc, si, comme l’indique Lévi-Strauss « la preuve du social ne peut être que mentale [et inversement] »[73] formule particulièrement heuristique par quoi Lacan s’est laissé enseigner, alors nous devons être en mesure de mettre en évidence, s’agissant du social, qu’un opérateur homosexuel – dont le drame chrysippien est l’expression – pourrait bien être à l’œuvre au cœur de notre lien social et de ce qui s’y origine (du moins dans cette partie du monde). En effet, c’est par un travail du négatif qu’il faut ici se laisser guider, travail du négatif qui se déduit du déni qui en est la condition et qui instaure la matrice œdipienne. C’est pourquoi, je pense qu’il pourrait être pertinent de rapprocher – Horresco referens – ce que Lacan indique du deuil de l’être phallique au plan du cas – cette forclusion inversée similaire à un deuil – à ce qu’écrit Judith Butler[74], au plan du collectif, à propos de la mélancolie se déduisant, pour tout sujet, de l’incorporation de la matrice hétérosexuelle et de ses normes de genre. Mais ce sera pour une autre fois.
[1] S. Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », Œuvres complètes. Psychanalyse, Paris, Puf, tome XII, 2005 (1914), p. 247-315.
[2] S. Freud, « Autoprésentation », Œuvres complètes. Psychanalyse, Paris, Puf, tome XVII, 1992 (1925), p. 51-122.
[3] F. Gabarron-Garcia, Histoire populaire de la psychanalyse, Paris, La fabrique éditions, 2021, 216 p.
[4] L. Le Corre, L’Homosexualité de Freud, Paris, Puf, 2017, 420 p. ; En espagnol : La Homosexualidad de Freud, Barcelona, Ediciones S&P, 2020, 465 p.
[5] Lacan rappelle que : « Ce qui est alors pour Freud la parole qui polarise, organise toute son existence, c’est la conversation avec Fliess. Elle se poursuit en filigrane dans toute son existence comme la conversation fondamentale. En fin de compte, c’est dans ce dialogue que se réalise l’auto-analyse de Freud. C’est par là que Freud est Freud, et que nous sommes encore aujourd’hui à en parler. Tout le reste, le discours savant, le discours quotidien, la formule de la triméthylamine, ce qu’on sait, ce qu’on ne sait pas, tout le fatras, est au niveau du moi. Ça peut aussi bien faire obstacle que signaler le passage de ce qui est en train de se constituer, c’est-à-dire ce vaste discours à Fliess qui sera ensuite toute l’œuvre de Freud. » (nous soulignons) ; voir : J. Lacan, Le Séminaire Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse (1954-1955), Paris, Seuil, 1978, p. 150.
[6] Lesbienne, Gay, Bisexuel.le, Trans*, Queer, Intersexe + Of Colours.
[7] M. Zafiropoulos, Œdipe assassiné ? Œdipe roi, Œdipe à Colone, Antigone ou L’inconscient des modernes. Les mythologiques de Lacan 2, Toulouse, Erès, 2019, 167 p.
[8] Ibidem, p. 9.
[9] T. Ayouch, « Genre, classe, ”race” et subalternité : pour une psychanalyse mineure », Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités (sous la direction de F. Pommier et de L. Croix), Toulouse, Erès, 2017, 272 p.
[10] J. Lacan, « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie. Communication pour la XIIIe conférence des psychanalystes de langue française (19 mai 1950) en collaboration avec Michel Cénac », Ecrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 125-149.
[11] J. Lacan, Le Séminaire Livre VI, Le Désir et son interprétation, (1958-1959), Paris, La Martinière, 2013, p. 295-296.
[12] M. Zafiropoulos, op. cit., p. 24.
[13] D. Anzieu, « Œdipe avant le complexe ou de l’interprétation psychanalytique des mythes », Les Temps modernes, octobre 1966, n°245, p. 675.
[14] J.-P. Vernant, « Œdipe sans complexe », Raison présente, n°4, août-septembre-octobre 1967, p. 3-20. Article réédité in : J.-P. Vernant, P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne-1, Paris, La Découverte, 1972, p. 75-100.
[15] A. Laflaquière, « L’Enfance paradigmatique », Psychiatrie de l’enfant, 1990, tome 33, vol. 2, p. 365-389.
[16] Je remercie Gabrielle Schnee pour avoir attiré mon attention sur ce point lors du « Séminaire cliniques et critiques », séance du 19 janvier 2022.
[17] L. Beirnaert, « Est-il souhaitable qu’un croyant soit toujours analysé par un croyant ? », Psyché. Revue internationale des sciences de l’homme et de psychanalyse, Paris, avril-mai 1949, n° 30-31, p. 358-367.
[18] A. Desmazières, « Henri Ey, ‘’compagnon de route’’ des congrès catholiques internationaux de psychothérapie et de psychologie clinique (1955-1960) », Cahiers Henri Ey, 2008, n° 20-21, p. 149-164.
[19] Cette information permet peut-être de mieux saisir la référence à Pétain lors des débats sur la passe : « On est bougrement plus dur dans l’être pourtant, personne ici ne le sait donc quand on abdique d’être sujet. On voit que vous n’avez jamais été à la guerre, vous êtes tous à quelque degré enfants de Pétain, en 14 pas nés encore. » ; voir : « Autres textes 1967-12-06 Réponse aux avis manifestés sur la proposition », http://www.gnipl.fr/Recherche_Lacan/2015/08/04/autres-textes-1967-12-06-reponse-aux-avis-manifestes-sur-la-proposition/, publié le 4 août 2015.
[20] A. Desmazières, L’Inconscient au paradis. Comment les catholiques ont reçu la psychanalyse (1920-1965), Paris, Payot, 2022, 335 p.
[21] « La Passe actuelle », L’Ordinaire du psychanalyste, novembre 1977, n°11, p. 151-162, (p. 152 pour la page citée).
[22] Ibidem, p. 158.
[23] Nous soulignons.
[24] Ibid., p. 162.
[25] A. Idier, « Le livre homophobe et transphobe de Marty, la critique culturelle et la psychanalyse », https://blogs.mediapart.fr/antoineidier/blog/300522/le-livre-homophobe-et-transphobe-de-marty-la-critique-culturelle-et-la-psychanalyse?fbclid=IwAR3D3dBN8Df6ow2Q3R5Qfl43rXVyXAGn9o20Z2hWE0T0UTvxUk0GN43gfd8, consulté le 31 mai 2022.
[26] Euripide, Tragédies. Tome VIII, 3ème partie. Fragments Sthénébée – Chrysippos (texte établi et traduit par F. Jouan et H. Van Looy), Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 373-374.
[27] Ibidem, p. 374-375.
[28] Ibid.
[29] Ibid. Les sources principales sont (p. 373, n°1) : Apollod., III, 5, 5 ; Athén., XIII, 602 ; Elien, NA, 6, 15 ; VH, 2, 21 ; schol. Eur., Phén., 1760, Or., 5 ; schol. Appol. Rhod., I, 517 ; schol. II, 2, 105 ; Paus., VI, 20, 7 ; Ps. Plut., Parall. min., 33, 713 E ; Tzetzès, Chil., I, 415-423 ; Hygin, fab., 85, 243, 271.
[30] Cl. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 227-255.
[31] Voir le débat avec Marie Delcourt et Bernard Sergent : M. Delcourt, Œdipe ou la légende du conquérant, Paris, les Belles Lettres, 1981 (1944), 266 p. ; B. Sergent, Homosexualité et initiation chez les peuples indo-européens, Paris, Payot, 1996, 670 p.
[32] S. Boehringer, « Déméter et Koré en plein jour. Réappropriations féministes et écoféministes d’un mythe », Cahiers du genre, appel à participation, à paraître en janvier 2023. Sur la question de la performativité du mythe, voir également : Cl. Calame, « ‘’Mythe’’ et ‘’rite’’ en Grèce : des catégories indigènes ? », Kernos, 1991, n°4, p. 179-204. Je remercie très chaleureusement Sandra Boehringer qui a accepté de répondre à mes nombreuses questions.
[33] W. Marx, Le Tombeau d’Œdipe. Pour une tragédie sans tragique, Paris, Les Editions de Minuit, 2012, 206 p.
[34] Ibidem, p. 70.
[35] En gardant à l’esprit aussi que la tragédie grecque n’était pas seulement athénienne, pas seulement tragique – voir les « tragédies heureuses » de Corneille, qu’elle débute avant 412 et se termine bien après 401. Voir : Ibid. p. 69-76.
[36] Ibid., p. 10.
[37] Ibid., p. 23.
[38] Ibid., p. 18.
[39] S. Boehringer, Op. cit.
[40] J. Bollack, Jacob Bernays. Un homme entre deux mondes, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1988, 117 p.
[41] W. Marx, op. cit., p. 118.
[42] J. Breuer, S. Freud, « Etudes sur l’hystérie », Œuvres complètes. Psychanalyse, Paris, Puf, tome II, 2009 (1895), 428 p.
[43] M. Iacub, Le Crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Paris, EPEL, 2002, 272 p.
[44] S’agissant de Freud, je note que l’index de l’œuvre écrite ne mentionne Laïos qu’une fois, l’examen de la correspondance ne donnant pas plus de résultats. Voir : S. Freud, « L’interprétation du rêve », Œuvres complète. Psychanalyse, Paris, Puf, tome IV, 2003, p. 301-303. S’agissant de la correspondance, nous ne trouvons aucune mention dans les index des ouvrages suivants : S. Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, Paris, Puf, 2006. ; S. Freud, Lettres à ses enfants, Paris, Aubier, 2012 ; S. Freud, L. Binswanger, Correspondance 1908-1938, Paris, Calmann-Lévy, 1995. ; S. Freud, M. Eitingon, Correspondance 1906-1939, Paris, Hachette, 2004. ; S. Freud, S. Ferenczi, Correspondance, Paris, Calmann-Lévy, 1992-2000, 3 vol. ; S. Freud, A. Freud, Correspondance 1904-1938, Paris, Fayard, 2006. ; S. Freud, E. Jones, Correspondance complète (1908-1939), Paris, Puf, 1998. ; S. Freud, O. Rank, Correspondance 1907-1926, Paris, Campagne Première, 2015.
[45] A. L. Lobo, « Freud face à l’Antiquité grecque : le cas du complexe d’Œdipe », Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 2008, n° 8, p. 153-185. L’auteur propose notamment la liste des livres concernant l’histoire antique, provenant de la bibliothèque de Freud.
[46] D’une part, par exemple, dans une lettre à son ami Emil Fluss du 16 juin 1873, Freud indique qu’il obtint la mention « bien » – il fut le seul ! – dans l’épreuve de grec ancien lors du baccalauréat : « La version grecque, qui portait sur un passage d’Œdipe Roi long de trente-trois vers nous réussit mieux » ; voir : S. Freud, Lettres de jeunesse, Paris, Gallimard, 1990, p. 242. De l’autre, parmi les 2500 ouvrages composant la bibliothèque de Freud, nous savons désormais que près de 10% portent sur l’Antiquité égyptienne, grecque ou romaine, que Freud disposait des principaux auteurs antiques. Ainsi, l’inventaire de la bibliothèque de Freud mentionne notamment l’ouvrage de Carl Robert, Oidipus paru en 1915, qui réunit les textes relatifs à la légende d’Œdipe dans une somme magistrale dont Marie Delcourt estimait encore en 1944 qu’il était inutile de la refaire ; voir : C. Robert, Oidipus. Greschichte eines poetischen Stoffes im griechischen Altertum, Berlin, 1915, 2 vol. ; M. Delcourt, Œdipe ou la légende du conquérant, Paris, les Belles Lettres, 1981 (1944), p. XXXI. A propos de l’inventaire de la bibliothèque de Freud, voir : Freud’s Library. A comprehensive Catalogue / Freuds Bibliothek. Vollständiger Katalog (compiled and edited by / bearbeitet und herausgegeben von J. Keith Davies, Gerhard Fichtner), London, Tübingen, The Freud Museum, 2006.
[47] J. Lacan, Le séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation (1959-1960), Paris, Editions de La Martinière, 2013 ; Lacan Jacques, Le séminaire, Livre XII, Problèmes cruciaux de la psychanalyse (1964-1965), version A. F. I. ; Lacan Jacques, Le séminaire, Livre XX : Encore (1972-1973), Paris, Seuil, 1975.
[48] « Le mythe d’Œdipe, au niveau tragique où Freud se l’approprie, montre bien que le meurtre du père est la condition de la jouissance. Si Laïos n’est pas écarté – au cours d’une lutte où, d’ailleurs, il n’est pas sûr que c’est de ce pas qu’Œdipe va succéder à la jouissance de la mère -, si Laïos n’est pas écarté, il n’y aura pas cette jouissance. Mais est-ce au prix de ce meurtre qu’il l’obtient ? » in J. Lacan, Le séminaire, Livre XVII, L’Envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris, Seuil, 1991, p. 139.
[49] « L’analyse est une magie qui n’a de support que le fait que, certes, il n’y a pas de rapport sexuel, mais que les pensées s’orientent, se cristallisent sur ce que Freud imprudemment a appelé le complexe d’Œdipe. Tout ce qu’il a pu faire, c’est de trouver dans ce qu’on appelait la tragédie, au sens où ce mot avait un sens, ce qu’on appelait la tragédie lui a fourni, sous la forme d’un mythe, quelque chose qui articule qu’on ne peut pas empêcher un fils de tuer son père. Je veux dire par là que le Laïos a bien fait tout pour éloigner ce fils sur lequel une prédiction avait été faite, ça ne l’a pas empêché pour autant, et je dirai d’autant plus, d’être tué par son propre fils. » in J. Lacan, Le séminaire, Livre XXV, Le moment de conclure (1977-1978), version A. F. I., p. 103.
[50] B. Sergent, op. cit., p. 17-73.
[51] Platon, Œuvres complètes : Les Lois (livre VII-X), Paris, Les Belles Lettres, 1956, VIII, 836 b-c.
[52] Platon, Œuvres complètes. Tome V, 2ème partie : Cratyle, Paris, Les Belles Lettres, 1931, 395b.
[53] O. Rank, Das Inzest-Motiv in Dichtung und Sage, Leipzig und Vienne, Deuticke, 1912.
[54] G. Devereux, « Why Œdipe killed Laïos :A Note on the Compementary Oedipus Complex », International Journal of Psycho-Analysis, 1953, vol. XXXIV, p. 132-141. ; traduit en français : « Pourquoi Œdipe a tué Laïos : notes sur un complexe complémentaire au complexe d’Œdipe dans la tragédie grecque », Le Coq Héron, 1999, n°158, p. 47-59. Devereux se réfère à plusieurs reprises à l’histoire de Laïos et Chrysippe, par ex. : « Représailles homosexuelles envers le père. Note clinique sur les sources contre-oedipienne du complexe d’Œdipe », Essais d’éthnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, 1970 (1960), p. 162-172. ; Femme et mythe, Paris, Flammarion, 1982, p. 51.
[55] Voir aussi : G. Devereux, « La pseudo homosexualité grecque et le ‘’miracle grec’’ », Ethnopsychiatrica, II, 1979, p. 211-241. Pour une discussion sur le statut des homosexuels dans nos sociétés et le rapport entre homosexualité et hétérosexualité en Grèce ancienne et en Austronésie, voir : B. Sergent, op. cit., p. 64-65. Sergent rappelle également les positions problématiques de Devereux concernant la « guérison » de l’homosexualité. Sur ce point, voir : L. Le Corre, « Guérir l’homosexualité masculine ? », Figures de la psychanalyse, 2019, I, n°36 p. 79-91.
[56] M. Balmary, L’Homme aux statues. Freud et la faute cachée du père, Paris, Grasset, 1979, 283 p.
[57] J. Bollack, La Naissance d’Œdipe. Traduction et commentaires d’Œdipe roi, Paris, Gallimard, 1995, p. 341.
[58] « Laïos pédophile : fantasme originaire ?», Revue Française de Psychanalyse, 1993, Tome LVII, avril-juin, 678 p.
[59] Sur le résumé de Pisandre voir : C. Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide. Commentaire et traduction », Paris, L’Harmattan, 2004, p. 15. L’auteur précise même page que la tragédie d’Euripide est encadrée par des références au drame de Chrysippe : « dans l’argument de la recension de Thomas Magister, tel qu’il figure en tête des manuscrits Z, Zu, T ou Gu, il est question de la légende de Chrysippe ».
[60] « Je pense en effet à la faute ancienne, sitôt punie, mais dont l’effet dure jusqu’à la troisième génération, à la faute de Laïos sourd à la voie d’Apollon qui, par trois fois, dans son siège fatidique de Pythô, nombril du monde, avait déclaré qu’il devait mourir sans enfants, s’il voulait sauver la ville. » Voir : Eschyle, « Les Sept contre Thèbes », Théâtre complet, Paris, Garnier Flammarion, 1964, p. 89.
[61] Euripide, op. cit., p. 375-376.
[62] C. Lévi-Strauss, op. cit., p. 228-235.
[63] Dans les rites d’initiation en Grèce ancienne, Bernard Sergent explique ce point par l’idée du passage d’un état à un autre : le but de la relation entre l’éraste et l’éromène est de faire passer ce dernier de l’état d’enfant à celui de guerrier en capacité, aussi, de prendre épouse. Ce n’est pas mon propos ici. Voir : B. Sergent, op. cit.
[64] M. Zafiropoulos, op. cit., p. 141.
[65] J. Lacan, Le Désir et son interprétation, op. cit. p. 397.
[66] L. Le Corre, « Gide, l’homo de Lacan : quelques remarques à propos de Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », Sygne, n°3, 2020, revue en ligne.
[67] J. Lacan, « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir. Sur un livre de Jean Delay et un autre de Jean Schlumberger », Ecrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 763.
[68] « C’est bien pour ça qu’André Gide voulait que l’homosexualité fût normale. Et, comme vous pouvez peut-être en avoir des échos, dans ce sens il y a foule. (…) ça va devenir un embouteillage. » ; voir : J. Lacan, Le Séminaire Livre XIX, … Ou pire (1971-1972), Paris, Le Seuil, 2011, p. 71.
[69] L. Le Corre, L’Homosexualité de Freud, op. cit., p. 123-220.
[70] Lettre à Miss N.N. du 09/04/1935 ; voir : S. Freud, Correspondance 1873-1939, Paris, Gallimard, 1966, p. 461-462. Cette lettre a d’abord été publiée dans la revue American Journal of Psychiatry, 107 CVII (avril 1951), p. 786.
[71] L. Le Corre, op. cit. p. 376-385.
[72] L. Le Corre, « Folle analyse : à propos du psychanalyste LGBTQI+», In Analysis, vol. 5/1, mai 2021, p. 48-53.
[73] « Donc, il est bien vrai qu’en un sens, tout phénomène psychologique est un phénomène sociologique, que le mental s’identifie avec le social. Mais dans un autre sens, tout se renverse : la preuve du social, elle, ne peut être que mentale ; autrement dit, nous ne pouvons jamais être sûrs d’avoir atteint le sens et la fonction d’une institution, si nous ne sommes pas en mesure de revivre son incidence sur une conscience individuelle. » ; voir : Cl. Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », Sociologie et anthropologie (Marcel Mauss), Paris, Puf, 2001 (1950), p. XXVI.
[74] J. Butler, Troubles dans le genre. Pour un féminisme de la subversion Paris, La Découverte, 2005 (1990), 284 p. Voir aussi : F. Bourlez, Queer psychanalyse. Clinique mineure et déconstructions du genre, Paris, Hermann, 2018, p. 205-221. ; M. David-Ménard (dir.), Sexualités, genres et mélancolie. S’entretenir avec Judith Butler, Paris, Campagne Première, 2009, 222 p.