Introduction aux échanges pour une analyse Freudienne du capitalisme financier – Markos ZAFIROPOULOS
VARIA
L’article qui suit s’intéresse à un domaine très peu exploré par la recherche psychanalytique : les pratiques liées au capitalisme financier qui constituent un trait majeur de l’organisation économique du monde contemporain. La perspective développée par l’anthropologie psychanalytique, reprise ici, vise à étudier la façon dont la structuration psychique inconsciente du sujet contemporain peut ou non être informée par ces nouvelles configurations spécifiques de l’Autre social qui se manifestent par de nouvelles organisations qu’il convient précisément d’analyser à partir des catégories freudiennes et lacaniennes.
Dans cet article Jan Horst Keppler se situe explicitement dans le contexte d’une recherche novatrice réalisée par Ximena Zabala Corradi, enseignant-chercheur à Santiago du Chili, à l’occasion d’une thèse dirigée par Markos Zafiropoulos et du commentaire qu’en a réalisé ce dernier.
C’est ce commentaire que nous reproduisons ci-dessous afin d’éclairer au mieux le dialogue engagé dans cet article par Jan-Horst Keppler avec Markos Zafiropoulos.
(René SARFATI)
La recherche de Ximena Zabala Corradi[1] est particulièrement bien située dans la perspective épistémologique qui vise à rendre compte du social du point de vue de la psychanalyse.
Ici, l’ambition qui pour notre équipe de recherche en anthropologie psychanalytique vise à moderniser sans cesse le diagnostic concernant l’état du malaise dans la culture est parfaitement aboutie car le thème de recherche en l’occasion est éminemment moderne puisqu’il s’agit du malaise des traders aujourd’hui ; malaise qui se déduit donc de la pointe peut-être la plus actuelle du capitalisme, pris en sa forme financière qui n’est certes pas la seule, mais qui caractérise assez bien cette forme d’économie moderne dont Marx voyait l’émergence dans la domination de la bourgeoisie sur la noblesse et dont Braudel situait au Moyen-Age les racines, dans une perspective de longue durée qui a la mérite immédiat de ne pas nous entrainer trop vite dans l’imaginaire du nouveau, voire de l’inédit ou pire de l’inouï ou de l’hyper-moderne qui menace toujours de je ne sais quelle myopie les essayistes de la postmodernité, avec son inévitable individualisme morbide endossé par quelques psychanalystes prompts à traquer quelques traits cliniques et inédits du sujet hypermoderne au nombre desquels les pathologies de l’acte, les troubles somatoformes, les violences, les suicides, les psychoses ou les perversions généralisées, et ainsi du reste…
J’ai depuis mon Lacan et les sciences sociales de 2001[2] tenté de reconstruire la généalogie de cette thèse et d’en montrer la relative faiblesse épistémologique.
Ximena Zabala Corradi, comme un bon chercheur, prend à son tour le problème à bras le corps et propose d’abord une impressionnante reconstruction de cet ensemble d’énoncés que j’ai qualifié d’évolutionnistes, en prenant acte du fait socio-économique majeur de la globalisation et de l’émergence des nouvelles formes du capitalisme théorisées par nombre d’économistes et de sociologues, au premier rang desquels par exemple Luc Boltanski ou Manuel Castells.
Sur ce point il faut remarquer que le travail de Ximena Zabala Corradi restera comme une référence puisqu’elle fait l’effort de convoquer une bonne part du savoir en sciences sociales comme elle indique, tout naturellement la place qu’y occupe – pour ce qui intéresse le champ psychanalytique – les travaux de Marcel Gauchet, auxquels se réfèrent volontiers les psychanalystes Jean-Pierre Lebrun et Charles Melman[3] qui soutiennent avec d’autres, mais de manière exemplaire, l’idée de l’émergence d’une nouvelle économie psychique qui conduirait le sujet moderne vers les affres inédites des symptômes modernes liés à une jouissance de masse, sans limite, et propre à être logés en particulier sous la notion d’une ordinaire perversion, comme d’autres psychanalystes croient par exemple apercevoir le déchaînement de psychoses « blanches » ou « ordinaires » caractérisant ce même sujet de l’hypermodernité.
A cet état des lieux du corpus articulant l’émergence d’un sujet hypermoderne à celle de la postmodernité, il faut ajouter le fait qu’il arriva bien en effet à Lacan d’ajouter à ses quatre discours celui du capitalisme, servant volontiers de référence autorisée aux recherches psychanalytiques que je qualifie d’évolutionnistes, étant entendu que, de leur point de vue, l’évolution de la structure inconsciente dépend de l’évolution sociale ou encore, comme le dit Lacan dès 1951 « des conditions sociales de l’œdipisme », au premier rang desquels l’état de la fonction paternelle, de la jouissance de masse, du Nom du père, etc.
La question étant alors de savoir précisément ce qui, dans les modifications de ce qu’on appelle grossièrement l’Autre social, modifierait le mode de structuration du sujet de l’inconscient qui s’en déduit.
Voilà la question qui aura donc motivé la recherche de Ximena Zabala Corradi, cherchant à établir, au moins à titre de paradigme majeur, la façon dont la modification des marchés financiers qui dessinent un des traits fondamentaux de l’actualité du capitalisme produirait des institutions spécifiques ou encore des organisations de masse réunissant des foules de sujets dont elle analyse la composition, la régulation libidinale selon les idéaux qui les surplombent et finalement pour le dire vite, les symptômes.
Le choix de Ximena Zabala Corradi s’est porté à juste titre sur les salles de marchés dont elle a fait avec courage son terrain d’enquête. Avec courage, oui, car ces salles de marchés qui incarnent sûrement très bien une des formes les plus actuelles du capitalisme, sont essentiellement masculines, fortement polarisées par le régime libidinal d’une homosexualité refoulée, cachant mal la souveraineté d’une érotisation anale bien propre au régime général de l’économique ; salles de marchés d’où les femmes sont enfin, dans cette logique, exclues.
A la pointe de l’actualisation du capitalisme financier, Ximena Zabala Corradi s’est donc engagée dans un univers qui ne lui est pas favorable puisque les femmes en sont exclues et elle retrouva tout de suite dans ce monde hypermoderne la structure des masses paradigmatiques de l’Eglise ou de l’Armée, bien décrites par le Freud de Psychologie des masses (titre de 1921, il y a environ déjà un siècle). Ce premier résultat est tout à fait frappant pour moi, puisqu’au cœur de l’hypermodernité, la recherche découvre au premier regard, une foule de traders semblant répondre à la théorie freudienne de la socialisation des masses, ce qui permet tout de suite donc de réintroduire l’objet de recherche – les salles de marchés – dans la longue histoire des institutions boursières qui remontent, selon Braudel, au XIVème siècle, dans l’Europe médiévale.
Du coup, l’hypermoderne semble prendre rapidement « un coup de vieux », même si, alors qu’au Moyen-Age les financiers s’assemblaient volontiers pour ramener de quelque pays lointain des marchandises très recherchées, les traders cherchent, eux, à ramener par leur intense activité, une marchandise très recherchée aussi, mais ramenée à sa plus simple expression, à savoir de l’argent.
De plus, et à la différence des marchands de l’époque, les traders n’ont pas à partir au loin, puisque c’est le loin qui – via la kyrielle d’écrans – s’invite dans la salle de marchés et s’impose aux traders, exprimant par là au total, l’émergence d’une forme inverse et complémentaire de la recherche du gain qui anime donc les hommes de très longue date, au moins en Occident.
Mais ici, point de bateaux, d’aventure et de grand vent, le voyage des traders se fait sur place car l’économie-monde, comme le dit Braudel, est aujourd’hui largement numérisée ; les informations qui viennent de l’Autre algorithmique fondent sur nos traders à la vitesse de la nano seconde.
Du coup, voilà nos chercheurs d’or hypermodernes quelque peu dépassés par la machinerie algorithmique de l’Autre qui a réuni de brillants mathématiciens devenus les maîtres des jeunes traders regardés par leurs écrans et qui tentent d’échapper à cette emprise visuelle de l’algorithme en appelant leurs alter ego d’autres salles de marchés ou en chatant avec eux pour se régler sur ce qu’il en est des bruits de couloirs ou des rumeurs formant, in fine, l’état du marché aussi bien que le fait la rigueur de l’algorithme déterminant la logique des chiffres qui s’affichent sur les écrans dont les traders sont prisonniers et dont dépend le gain ou la perte.
L’enquête est bien faite, courageuse et précise, mais au total Ximena Zabala Corradi nous décrit donc une masse de garçons enfermés dans ce qu’ils appellent une sorte de casino dont ils tenteraient de prendre le contrôle par les bruits de couloir, les chats, bref, le produit de la relation horizontale entre les fidèles, alors que le maître apparaît finalement de mon point de vue comme étant l’algorithme mal dissimulé derrière l’éternelle figure du chef de la salle, exigeant de la fratrie financière le maximum de gain au prix même du scandale qui allait, par exemple, exclure de cette salle le dénommé Alvaro, fort dépité de n’être pas défendu par son chef, alors que par on ne sait quelle illégale manipulation, il lui avait pourtant ramené ce qu’il voulait en cherchant son amour , à savoir, de l’argent.
Ici, on passe de la clinique des masses à celle des sujets et en écoutant la douloureuse déception d’Alvaro, le chercheur Ximena Zabala Corradi formule la question cruciale qu’elle reprend pour conclure : « L’instance idéale surmoïque dont dépend la possibilité de refouler aurait-elle changé ? ».
En effet, déçu par le chef trompeur – ou encore l’inconsistance de l’Autre, dirions-nous en Lacaniens – Alvaro, exclu de la salle de marchés, entre dans une sorte de deuil dont Ximena Zabala Corradi se demande s’il relève de la mélancolie, pour trancher in fine contre cette hypothèse, puisque voilà, Alvaro, qui rejoint ce qu’il appelle le secteur réel de l’économie – ici un poste dans la sidérurgie – en même temps qu’il se réconcilie avec les idéaux de son propre père – comptable – qui avait tenté de lui transmettre l’éthique idéale de cette jouissance des biens que l’on a dit « en bon père de famille », jouissance fort éloignée de cette sorte de manie de la consommation d’objet qui subjuguait, semble-t-il, Alvaro, alors qu’il participait aux gains, paraissant alors sans limites, de la salle de marchés.
Après l’expulsion, indique Ximena Zabala Corradi, Alvaro « revient à la loi du père ». Et de fait, après son expulsion, l’ex-trader semble donc s’éloigner de la manie des biens, redonner de l’importance à ses propres enfants, comme aux conseils avisés de son propre père. Après la manie d’une jouissance phallicisée et après expulsion de la salle de marchés, Ximena Zabala Corradi indique donc que l’ex-trader « revient à la loi du père » et qu’il retrouve une position masculine ordinaire et castrée. La description est précise et convaincante et l’auteure laisse de côté l’idée de faire d’Alvaro un ludopathe mélancolique ou un pervers hypermoderne pour apercevoir in fine un névrosé ordinaire déçu par l’objet idéal, ici le chef. Déception dont il s’est assez bien remis puisqu’il retrouve un poste dans un lien social ordinaire.
Alors quelle est la question ?
Eh bien on voit qu’après la tentation de diagnostiquer ici un exemple paradigmatique de perversion hypermoderne, le choix se fait pour la névrose obsessionnelle, mais Ximena Zabala Corradi n’y renonce cependant pas tout à fait car elle fait du temps 1 d’Alvaro (pris dans la salle de marchés) un temps de démenti de la castration alimentant une manie de la consommation qui aurait été brisée par son expulsion de la salle de marchés, ouvrant là un temps 2 où Alvaro enfin castré reviendrait à la loi du père de famille et à la régulation d’une jouissance dite de bon père de famille. L’exemple clinique est édifiant, mais on peut alors se demander ce qu’il en est quant à la théorie du père car au regard du tracé du cas en deux temps et de son commentaire indiquant qu’Alvaro « revient à la loi du père », il me semble que Ximena Zabala Corradi fait coïncider – mais c’est une question – les énoncés du père de famille avec la logique de la fonction paternelle et le pouvoir d’engendrement subjectif de la loi. Alors que depuis le rapport de Rome (1953) en particulier la recherche de Lacan vise précisément à disjoindre ce qu’il en est de la figure du père de famille et ce qu’il en est de la figure symbolique du Nom du Père qui, de son point de vue, est un pur signifiant dont l’activité structurante quant au sujet peut être d’autant plus forte d’ailleurs que le père de famille est absent. Bref, en 1953, l‘ambition de Lacan est d’arracher la psychanalyse à sa version familialiste ; et de son point de vue, le sujet de l’inconscient se déduit des lois de la parole et du langage au moins autant que des aléas de telle ou telle famille où émerge un fils.
Je dis cela maintenant car j’aimerais questionner cette idée cruciale que soutient en l’occasion cette interprétation des mésaventures d’Alvaro qui selon l’auteure « revient à la loi du père » après son expulsion de la salle de marchés.
Question : l’avait-il quittée ?
Puisque pour y revenir, il faut au moins une histoire en 3 temps : 1) être dans la loi, 2) la quitter, 3) y revenir.
Je laisse le point 1 dont nous ne savons pas grand chose (pour ce cas) et je questionne donc le temps 2 qui nous intéresse puisqu’il s’agirait d’un moment sans père ou du moment de la clinique de la salle de marchés, présentée comme un espace sans régulation symbolique.
L’exemple nous intéresse pour ses vertus paradigmatiques, puisqu’il y va de la clinique de l’hypermoderne où le vidage de la régulation symbolique et paternelle est supposé – selon le paradigme évolutionniste – engendrer ces symptômes de jouissance sans limites conduisant nos contemporains vers cette zone de la perversion ordinaire que Ximena Zabala Corradi questionne, qu’elle semble écarter, puis qu’elle réintroduit pourtant via l’idée d’une sorte de démenti de la castration faisant du trader de la salle de marchés une sorte de pervers transitoire retrouvant au temps 3 (après expulsion) le régime d’une névrose sans perversion.
Alors, il me semble que ce tango avec la perversion mérite une explication claire, car tout ceci suppose une plasticité du sujet quant à son rapport à la castration assez inédite, sauf à diagnostiquer au temps de la salle de marchés, le régime ordinaire du fantasme passé au lieu de l’organisation de masse.
Question donc : peut-on situer la place exacte de cette perversion de la salle au plan de la structure du sujet ou au plan de son fantasme, ce qui me paraît un peu différent ? Bref ! Cette clarification serait à même de lever quelques ambigüités quant à la tentation évolutionniste où pourraient s’engager les conclusions de la recherche.
Sur ce point toujours, il me semble que l’auteure construit la salle de marchés comme une sorte d’univers où règnerait le démenti de la castration dans un monde sans père. Oui, mais, n’est-ce pas autonomiser par trop la salle de marchés, puisque ce bel exemple montre aussi que la portée juridique de la loi des échanges financiers s’imposa bel et bien aux acteurs de la salle, étant entendu qu’il y eût scandale, procès et expulsion.
Pas de régulation symbolique ?
Oui, mais voilà, le retour du droit prouve a contrario que, quoiqu’il en fût des illusions d’Alvaro, la loi sociale régulant les échanges financiers et donc symboliques, n’était pas externe à la salle. Bref, là aussi la jouissance est régulée par le droit et nous voyons que là encore la loi surclasse les demandes supposées de la potiche du chef enfin dévoilée.
Autrement dit, dans ce monde que l’on qualifie rapidement d’irréel ou de virtuel, ce que l’on vérifie c’est que la loi s’applique aussi bien et que le cyber espace se trouve in fine bel et bien régulé de manière toujours plus nette par le registre de la loi et même par la surveillance de quelque cyber police.
Enfin, si je comprends bien que l’idéal du père d’Alvaro ne surplombait pas l’organisation de la salle ou ses activités, reste aussi que cet espace me semble moins dominé par la potiche du chef que par la logique proprement symbolique des algorithmes prenant la main – au moins en grande partie – sur les échanges financiers.
Voilà peut-être le lieu d’une régulation mathématiquement organisée laissant in fine peu de place à la logique du démenti et donc à l’expansion d’une perversion transitoire de masse au plan clinique pour ces jeunes traders organisés dans une logique de masse répondant, je le répète, assez bien au modèle freudien de l’analyse des masses.
Dit autrement encore, ne faut-il pas chercher dans le langage mathématique – et non du côté de la famille – les signifiants organisateurs des échanges et donc la place, le cas échéant, de ce signifiant zéro ou Nom du père qui permet à la pensée symbolique de s’exercer, selon Lévi-Strauss[4], et qui s’appelle le Mana chez les mélanésiens, le Machin ou le Truc un peu partout, et ici l’esprit des choses mathématiques qui ordonnent le monde des traders organise les échanges d’une main de fer et débouche sur ce jeu à somme zéro dont parlent les traders dans cette étude ?
Bref, partis à la recherche d’un monde hypermoderne, n’est-on pas ici conduits vers une foule de jeunes traders réunis de manière très classique, pour récolter avec plus ou moins de bonheur les avoirs qui, de manière ordinairement masculine, caractérisent ces chercheurs d’or depuis toujours, voués pour le dire de manière triviale, à l’ébriété de la névrose et à sa gueule de bois.
Alors, je pose deux questions pour terminer :
- Si l’on peut considérer cette foule d’hommes comme une foule classiquement freudienne, c’est aussi parce qu’elle présente ce caractère d’exclusion des femmes que Freud croyait être une sorte de réquisit quant à la stabilité des institutions. Le puissant remaniement de la place des femmes dans les institutions de la modernité dément l’idée freudienne selon laquelle les femmes fonctionneraient comme des éléments frénateurs de la culture. Le modèle de la foule des traders me semble donc, je le répète, hypo moderne puisque propre à réunir une foule de fils motivés par le registre des avoirs. De mon point de vue, les femmes ne s’enfoulent pas de la même manière que les hommes, j’ai cru donc devoir relever du côté des foules de femmes chrétiennes l’idéal du rien et de la pauvreté au principe de leur enfoulement[5]. D’où l’intérêt, pour notre champ, du cas de celle que l’auteure dénomme Marie, une jeune trader d’exception de 28 ans – d’exception féminine –, dont la mission se trouve être de faire sacrifice de ses gains au profit des maisons de retraite ou des femmes victimes d’abus sexuel, bref, selon ses propres termes, de « donner à ceux qui n’ont pas », et ceci a également le mérite de nous montrer que même égarée dans la bande des fils névrosés à la recherche des avoirs, une jeune hystérique de la foule hypermoderne fonctionne comme une vraie chrétienne motivée par le désir, le sacrifice et le rien. Bref, Marie, la jeune trader, est au total très proche de Sainte Claire d’Assise. D’où peut-être l’intérêt de confirmer, par le féminin cette fois, que ce paradigme du capitalisme financier qui, comme l’Eglise, exclut les femmes, lorsqu’exceptionnellement il les intègre, c’est selon encore une logique classique du désir au féminin, montrant combien au cœur même de la pointe du capitalisme financier, on rencontre quelques éclats du désir au féminin de Marie, éclairant ce monde masculin des avoirs d’une étrange lueur dont le mythe chrétien n’est pas tout à fait absent. Désir au féminin motivé non pas par le registre des avoirs, mais par celui du rien qui est son envers. De ce point de vue, l’analyse faite de l’hystérie dans la salle de marchés est ici très convaincante et montre au passage combien cette foule est fondamentalement classique, même lorsqu’elle s’ouvre exceptionnellement, mais quand même… à la logique du désir au féminin.
- Enfin sont repris pêle-mêle un certain nombre d’énoncés inhérents au champ étudié : « le discours capitaliste invite ceux qui le servent à se penser comme des machines » … « l’humain nouveau est une machine performante de même nature que les objets qu’il fabrique et qui sont susceptibles de compléter son manque », etc.
Que penser de ce style d’énoncés au regard de cette recherche ?
- Marie ne semble pourtant pas se penser comme une machine alors qu’elle sert dans la salle de marchés le discours capitaliste.
- « L’humain nouveau fabrique des objets qui sont susceptibles de compléter son manque ? » Pourquoi pas, mais est-ce « nouveau » ? Puisque pour rester dans le paradigme de la perversion, il y a bien longtemps que Marx a fourni une clinique très convaincante du fétichisme de la marchandise qui, pour forcer le trait et suivre Braudel, nous conduit à remonter historiquement au bon temps du Moyen-Age. Ce qui nous replace in fine dans l’analyse de la longue durée où se situe l’objet de la recherche, au total bien propre à démonter quelques catégories préconstruites du discours évolutionniste dans notre champ, ce qui en fait, de mon point de vue, sa valeur inestimable. Il convient donc de féliciter l’auteure pour ce travail qui a parfaitement démontré que les salles de traders réunissent – selon la logique freudienne classique de Psychologie des masses – une foule de fils névrosés obsessionnels admettant de manière exceptionnelle quelques dames fonctionnant volontiers de manière hystérique ; ce qui montre toute la fraicheur que peuvent garder les paradigmes de Freud (relus par Lacan) pour ce qui concerne l’analyse du capitalisme financier et de ses sujets apparaissant bien le plus souvent comme des névrosés très ordinaires.
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[1]X. ZABALA CORRADI, Le malaise des traders : des « modernes névrosés » et leur lien à l’Autre, sous la direction de M. Zafiropoulos, Université Denis Diderot Paris 7, Paris, 2014.
[2]M. ZAFIROPOULOS, Lacan et les sciences sociales, Paris, Puf, 2001 (traduit en espagnol : Lacan y Las ciencias Sociales, Nueva Vision, Buenos Aires, 2002). Dans cet ouvrage qu’inaugure une série de travaux sur l’archéologie de la pensée de Lacan, l’auteur dégage au plan épistémologique un premier Lacan « sociologue » situant sa théorisation notamment du père et de la famille dans le contexte de la sociologie française et plus particulièrement de ses fondateurs (Le Play et Durkheim). Un second Lacan « lévi-straussien » émerge de la rencontre du psychanalyste avec l’œuvre de Lévi-Strauss (in Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud, Paris, Puf, 2003 ; traduit en espagnol : Ed. Manantiales, Buenos Aires, 2007 ; en grec : éd. Plethron, Athènes, 2007 ; en chinois : éd. Psygarden, Taipei, 2009 ; en anglais : Karnac’s Books, London, 2010 ; en portugais : Civilização Brasileira , Rio de Janeiro , 2017). Un troisième Lacan dit par l’auteur « mythologue » (in Les mythologiques de Lacan. La prison de verre du fantasme : Œdipe roi, Le diable amoureux, Hamlet, Toulouse, Erès, 2017 ; traductions en espagnol et en portugais à paraitre) fait l’objet de travaux actuels (ndlr).
[3]C. MELMAN (entretiens avec J.-P. Lebrun), L’homme sans gravité. Jouir à tout prix, Paris, Denoël, 2002.
[4]C. LEVI-STRAUSS, « Préface à M. Mauss », Sociologie et Anthropologie (1950), Paris, Puf, 1993, p. XLIV.
[5]M. ZAFIROPOULOS, La question féminine, de Freud à Lacan, Paris, Puf, 2010 ; traduit en espagnol : La cuestión femenina, Buenos-Aires, Logos Kalos, 2017.