POLITISATION DES TRAUMAS QUEERS OU L’AMOUR DU PROCHAIN

  • -

POLITISATION DES TRAUMAS QUEERS OU L’AMOUR DU PROCHAIN

Intervention lors du séminaire du Cercle International d’Anthropologie Psychanalytique le 12 décembre 2023.

Lionel LE CORRE

 

 

 

 

Lors de la séance inaugurale du Séminaire du Cercle International d’Anthropologie Psychanalytique (CIAP)[1] consacrée à la présentation de l’ouvrage de Markos Zafiropoulos, Lacan presque queer[2], nous avons constaté, qu’entre psychanalyse et études queers, des ponts existaient… ponts pas toujours faciles à emprunter, certes, mais qui pourraient pourtant s’ils étaient consolidés par la clinique notamment, permettre une meilleure circulation des idées et des pratiques entre nos deux champs, le champ freudien et celui des études queers. Selon cette perspective, mon intervention portera sur les rapports entre psychanalyse et études queers, en tentant de situer la place de la psychanalyse parmi les discours actuels. Il s’agira ensuite de porter un regard croisé sur les deux champs à l’aune de ma lecture de Lacan presque queer pour vérifier, par la clinique, l’efficacité d’un tel regard dans notre pratique.

 

Quelques remarques sur la place de la psychanalyse parmi les discours actuels

Le point de vue de la psychanalyse a irrigué très tôt d’autres champs que celui de la vie psychique : ainsi, en France, le surréalisme a rencontré le discours psychanalytique bien avant la création de la Société Psychanalytique de Paris en 1926[3] — notamment du fait de l’amitié entre André Breton[4] et Angelo Hesnard — montrant au final et non sans ironie une théorie, la psychanalyse, mise au service de la production des biens culturels alors que Lacan relu par Zafiropoulos, nous fait apercevoir combien il s’agit là, pour le sujet, d’une errance de plus, fut-elle sublimatoire. Nous y reviendrons. A l’inverse, il convient de rappeler que plusieurs des avancées conceptuelles de Freud se sont faites à l’aune des savoirs de son temps notamment sur la question homosexuelle. Ainsi, ai-je mis en évidence dans L’Homosexualité de Freud la manière par laquelle le psychanalyste viennois s’est appuyé dès 1901, donc très tôt, sur les savoirs de l’anthropologie et de la sexologie — en l’occurence les travaux d’Iwan Bloch[5] ou de Magnus Hirschfeld[6], tous deux, par ailleurs, fondateurs avec Karl Abraham et quelques autres de l’Association Psychanalytique de Berlin en 1908. Savoirs de l’anthropologie et de la sexologie ayant permis à Freud de montrer le peu de consistance de ce que Foucault nommait « l’ensemble perversion-hérédité-dégénérescence »[7] réglant les attendus de la psychiatrie du temps de Freud. S’agissant de Lacan, rappelons que le fameux retour à Freud s’est fait en recourant aux dites sciences affines de la psychanalyse, peut-être surtout l’anthropologie structurale dont Markos Zafiropoulos[8] a montré au fil de ses travaux combien plusieurs questions cruciales ont pu être résolues par le psychanalyste français important dans le champ freudien certains résultats déduits de l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss (primat du signifiant sur le signifié, théorie du Nom-du-père et du signifiant zéro, pluralisation des Noms-du-père, etc.).

 

Pour autant au-delà de ce dialogue évident entre les disciplines, force est de constater désormais que, parmi les enjeux cruciaux pour la psychanalyse aujourd’hui, c’est bien celui de sa place parmi les discours actuels qui est posé. Autrement dit, sa capacité à rendre compte, en autonomie, du malaise contemporain dans la société en isolant et en se déprenant de ses propres préjugés, c’est-à dire, en restant à l’écoute — comme le firent Freud et Lacan — des autres formations discursives elles-mêmes actuelles mais relevant d’autres champs que le sien. Formations discursives porteuses de problématisations nouvelles qu’il convient de connaitre notamment pour les implications cliniques qui s’en déduisent, mais aussi qui traduisent des querelles de placement ou de places — à l’université ou au sein des associations de psychanalystes — marquant la venue, dans le champ freudien, d’une nouvelle génération, qui entend sans doute ainsi se distinguer de la précédente en mobilisant et politisant des références externes au champ ; soit, ici, la référence au postmodernisme et aux études queers. Je m’arrête sur ce point non sans vous renvoyer à l’ouvrage de Pierre Bourdieu, Les Usages sociaux de la science[9], où il indique que le renouvellement épistémologique d’un champ est aussi l’effet du rapport de force entre vieille garde et avant garde qui, malgré des aspirations communes — ici les vertus émancipatrices de la psychanalyse — occupent des positions antagonistes — doxa vs hérésie — qui sont peut-être moins au service de la science — c’est-à-dire dans notre champ, par exemple, la résolution des questions cruciales de la psychanalyse — qu’au service des intérêts de la carrière.

 

D’autres champs du savoir sont bien évidemment concernés par ces confrontations discursives, comme celui des sciences de la vie et en particulier la primatologie dont je vais rapidement rappeler l’une des controverses à haute valeur heuristique, notamment sur la question de savoir ce que savoir veut dire. Pourquoi me direz-vous porter l’attention sur l’étude des babouins dans un séminaire de psychanalyse ? Parce qu’il en va de la naturalisation des rapports sociaux de sexe notamment, naturalisation genrée qui se confond ici avec le réel dont elle n’est pourtant qu’un leurre idéologique. Parce qu’aussi, cette controverse autour de la vie sexuelle et sociale des primates montre combien est féconde cette position qui se déduit des savoirs situés telle que l’historienne des sciences Donna Haraway[10] en a délinéé les contours en 1987. Ainsi, lorsqu’en 1932, Solly Zuckerman publie La vie sexuelle et sociale des singes[11], ouvrage qui fera vite référence, la conception qui prédomine vise l’étude des animaux pour mieux comprendre les êtres humains. L’étude des primates est privilégiée compte tenu de sa proximité supposée avec l’espèce humaine. L’enjeu, dans un contexte de racialisation des discours de plus en plus assumée, est de mettre en évidence une hiérarchisation du vivant qui vient confirmer une vision de l’ordre social de plus en plus autoritaire. Le concept de dominance[12] est censé décrire une société — celle des babouins du zoo de Londres — masculino-centrée et agressive. A cette époque, le fait de mener une enquête sur la vie sexuelle et sociale des babouins, non pas en espace naturel mais dans un zoo, espace pourtant surdéterminé, n’est pas questionnée — notamment du point de vue méthodologique — car la thèse dominante présuppose que le comportement animal est inné, donc qu’il n’y a pas de pertinence à questionner le lien entre un comportement et un environnement — ici la surpopulation dans un contexte de captivité. Il faut attendre les années 1970 et les travaux de trois chercheuses en primatologie, notamment, pour remettre en question les conclusions de Zuckerman[13], ayant accumulé par ailleurs tous les titres dont notamment celui de Président de la Société de zoologie de Londres. Il s’agit des travaux de Shirley Strump, Thelma Rowell et Barbara Smuts qui réalisent des observations de terrain montrant des sociétés non hiérarchisées autour d’un noyau de femelles où les mâles n’ont pas de comportement agressif en soi, donc qui invalident le travail de Zuckerman, sa méthode et ses conclusions notamment celle de la domination et de la hiérarchisation des mâles entre eux et sur les femelles. Bien sûr, des critiques s’abattirent sur nos femmes chercheuses, dont la première leur reprochant d’être précisément des femmes. De plus, leur proximité avec les singes observés durant plusieurs mois et les interactions qui pouvaient se déduire de cette méthode par habituation furent questionnées alors qu’au même moment plusieurs travaux de terrain livraient des résultats — sans que, du reste, cela pose le moindre problème — où les animaux observés étaient nourris par les chercheurs pour être mieux approchés[14]. Pourtant, nos trois chercheuses avaient pris en compte leur proximité avec les babouins pour en questionner l’influence, engageant ainsi une réflexion méthodologique sur la production des données et les outils de la réfutation. Selon cette perspective en effet, il était alors possible d’interpréter un comportement comme étant ou non le fait de l’influence de l’éthologue, l’accumulation des données de ce type devant permettre de déduire des résultats les plus neutres possibles et enfin de porter l’attention sur les primates en tant que primates et non comme une métaphore naturalisée qui éclairerait les mœurs humaines.

 

Que retenir de cette controverse pour notre champ ? Que les résultats obtenus ne valent pas grand chose s’ils ne s’accompagnent a minima d’une méthodologie questionnant les effets de l’observateur sur le sujet observé, mais plus encore peut-être, s’ils ne s’accompagnent d’un questionnement situé au démarrage d’une recherche dont la qualité déterminera les conclusions de l’observation. Autrement dit, en posant des questions différentes, en questionnant leur position d’énononciation, nos trois primatologues n’ont pas inventé un comportement chez le babouin. Non. Elles ont remarqué un comportement existant qui jusqu’alors avait échappé à l’entendement faute d’un point de vue convenablement situé. N’en est-il pas de même dans le champ freudien ? Nous autres les psychanalystes n’avons pas à reculer devant les questionnements, parfois (a priori) extravagants, que portent en soi les études féministes, les études de genre, les études queers ou les études décoloniales, questionnements que Paul B. Préciado[15], endossant la position du singe en cage de Kafka, a bien voulu partager avec notre communauté le 17 novembre 2019 lors du congrès de l’Ecole de la Cause freudienne où il était invité à prendre la parole. Dans cette perspective, le fait de se déclarer psychanalyste gay, ou queer, ou safe, ou inclusif, etc. n’est pas (ou pas seulement) le fait d’une affirmation d’appartenance[16]. C’est aussi une manière pour le psychanalyste de sortir de sa propre cage où l’installent les principes de sa pratique en proposant à l’analysant impétrant le point d’identification que ce dernier réclame à l’orée de l’exploration des logiques signifiantes qui motivent les tourments dont il se plaint. Point de connivence identitaire ici mais un effet de semblant dont l’efficace clinique se vérifie, une première accroche du côté du même, un trait commun — « comme-un » — qui permet peut-être un premier nouage transférentiel au même titre que le choix (illusoire) par l’analysant du genre du psychanalyste. Ici et afin de mieux appréhender cette question complexe, il faudrait aussi rouvrir, par exemple, le dossier des liens entre psychanalyse et fémininisme[17] ou encore entre psychanalyse et études décoloniales[18]. Bien sûr, pour pertinents qu’ils soient, ces questionnements queers — qu’on dirait géolocalisés car ils sont plutôt formulés par des auteurs étatsuniens ou à l’appui de travaux étatsuniens  — n’impliquent pas qu’il faille verser dans l’air du temps en balançant, par dessus les moulins lacaniens, des concepts comme le phallus, le complexe d’Œdipe, le Nom-du-père, etc. parce que l’effort pour les situer n’a pas été convenablement produit[19]. Pour autant, parce qu’il s’agit de se laisser enseigner par le symptôme, ces questionnements peuvent être extrêmement utiles lors des conduites de cure par les problèmatisations nouvelles à quoi ils ouvrent ou, à tout le moins, lorsqu’ils prétendent renouveler l’abord du sujet moderne en prise avec ses propres tourments et ceux de l’époque.

 

Sans doute effet du fameux colloque de Baltimore, acte de naissance du postructuralisme[20], force est de constater également la manière par laquelle le discours lacanien irrigue, nourrit, alimente, ici ou là, le discours critique introduisant les logiques de l’inconscient au cœur des formations sociales, politiques ou historiques. Cette épistémologie — dont il faudrait tout de même repèrer un peu mieux l’usage qu’elle fait de la théorie lacanienne en préférant parfois l’analyse du texte en soi sans mobilisation du contexte — s’appuie également sur les théories féministes, les études de genre, les études queers, les études décoloniales. Livio Boni et Sophie Mendelsohn en donnent un bel exemple dans Psychanalyse du reste du monde en particulier dans l’introduction générale :

A travers la médiation de la déconstruction, et plus largement de la French Theory, mais aussi d’un certain postmarxisme, le langage analytique s’est installé durablement dans la théorie critique mondiale et mondialisée, autant, voire davantage qu’à l’époque du structuralisme et de l’Ecole de Francfort, qui signèrent dans les années 1950-1960 la première grande percée du freudisme dans les sciences humaines alors en gestation. (…) [Nos deux auteurs précisent] La psychanalyse est partie prenante de la nouvelle vague de la pensée par les néoféminismes et les postructuralismes, de sorte qu’on pourrait parler d’une omniprésence de son discours dans un très large spectre de la théorie critique contemporaine, liée à Judith Butler, Slavoj Zizek, Ernesto Laclau, Fredric Jameson ou Homi Bhabha (…). » [21]

 

On peut bien sûr être moins enthousiaste que Livio Boni et Sophie Mendelsohn concernant la diffusion du discours psychanalytique et en particulier du lacanisme si l’on considère son retrait de l’université, les pratiques de soins psychiques psychologisantes moins tournées vers l’exploration des logiques inconscientes pourtant au principe des tourments du sujet contemporain, les associations psychanalytiques à l’allure de chapelles dans lesquelles un certain nombre de praticiens de la psychanalyse ne se retrouvent pas tout à fait ou plus du tout, du fait d’organisations associatives pyramidales, dogmatiques et en voie de sclérose. Songeons en particulier (mais pas seulement) à l’accueil des praticiens eux-mêmes / elles-mêmes concerné.e.s par la transidentité qui s’organisent ailleurs, entre eux / entre elles et se coupent peut-être ainsi d’une pratique — la conduite de cure psychanalytique — dont il n’est pas inutile qu’elle s’acquiert au contact des pairs de la génération précédente. Bien sûr, en pointant ce fait, il ne s’agit pas de vouloir sauver la psychanalyse pour elle-même, à tout prix, mais plutôt, la pratique d’émancipation qu’elle propose et qui offre éventuellement — et paradoxalement — à celui ou celle qui s’y engage l’expression d’une liberté dont les espaces et les moments restent toujours à conquérir. Enfin, parmi les transformations du champ freudien à l’œuvre, la plus importante, est sans doute celle qui émane des analysants eux-mêmes dont la demande à être entendus s’accompagne de modalités nouvelles à prendre en compte si on désire qu’un travail s’engage : nombre de séances hebdomadaires (et encore), par téléphone ou en visio, paiement dématérialisé, autodiagnostic qu’il s’agirait de valider, refus d’un cadre analytique neutre ou perçu comme distant sinon jugeant pour le remplacer par un style qui s’apparente aux approches de la santé communautaire, où les garanties attendues sont l’empathie, la bienveillance, la proximité, etc. Mais peut-être l’élément le plus questionnant au regard de l’affirmation de Livio Boni et de Sophie Mendelsohn quant à la diffusion large des théories de Lacan, porte sur un usage d’une théorie qui ouvre à une certaine perplexité tant le manque de rigueur doctrinal ou l’ignorance de l’histoire des concepts qui fondent notre champ est relayée par une aimable créativité certes stimulante mais dont la portée heuristique est parfois à peu près nulle. Il y a donc un enjeu crucial à mesurer la valeur heuristique, épistémologique et clinique d’une lecture rigoureuse de la théorie de Lacan, non pas, encore une fois, pour la sauver, mais parce qu’elle est porteuse de problèmatisations qui conservent leur tranchant pour peu là encore, que celles-ci soient convenablement situées.

 

Théorie queer[22] , psychanalyse[23] et politisation des questions sexuelles

J’en viens aux études queers et ses liens avec la psychanalyse pour indiquer d’emblée qu’il n’est plus possible dans le cadre d’une communication, de rendre compte de l’entiereté des travaux produits par les études queers et les enjeux qu’ils posent au regard de la somme des ouvrages et articles publiée depuis maintenant plus de trente ans, ouvrages et articles qui excèdent largement les seules questions de politique des sexualités puisqu’ils intègrent désormais des questions écologiques, des questions relevant des sciences politiques ou encore de l’éthologie pour ne citer que quelques champs. Ainsi, en mars 2023, lors des journées d’Espace Analytique, j’avais tenté de montrer dans la conférence « Les Saintes trans* et le psychanalyste : pour un renouvellement du domaine de l’éros » en quoi un point de vue trans* sur l’hagiographie chrétienne contribuait à modifier notre compréhension de l’historicisation des questions LGBTQI+OC tant pour l’histoire médiévale que pour la psychanalyse[24]. Et donc, pour vous donner une idée de l’étendue des domaines désormais soumis à une perspective queer, je vous renvoie par exemple à l’ouvrage de Cy Lecerf Maulpoix, Ecologies déviantes. Voyages en terres queers[25], au texte du politiste italien Federico Zappino, Communisme queer[26] ou à celui de Gianfranco Rebucini, « Marxisme queer : approches matérialistes des identités sexuelles »[27], et enfin aux travaux de la biologiste trans Joan Roughgarden, Le gène généreux. Pour un darwinisme coopératif[28].

 

L’usage impute à Teresa de Lauretis l’expression « théorie queer » utilisée pour la première fois en 1991[29] dans une communication où elle engage une réflexion sur les catégories de nomination des expériences minoritaires dont, selon elle, les termes « gay » et « lesbienne » désormais normalisés ne pouvaient plus rendre compte. Cette date — 1991 — fait débat car il semble que l’expression « théorie queer » soit utilisée dès 1987[30] dans un contexte académique par la poétesse et activiste Gloria Anzaldua, lesbienne chicana connue pour ses travaux sur le métissage[31]. En effet, comme l’indique Pascale Macary-Garipui citant le sociologue Javier Saez :

Des groupes de lesbiennes, composés de chicanas, de noires, de chômeuses et n’appartenant pas au monde homosexuel nord américain intégré (par sa lutte) dès les années 1970-1980, (…) se sont autoproclamées « queers » pour marquer leur volonté de non-intégration dans la société marchant au pas de la norme hétérosexuelle, blanche et middle class[32].

 

En argot américain, le mot « queer » veut dire « étrange », « anormal », « tordu ». Il s’agit d’un exemple d’antiparastase visant le retournement de l’injure au même titre, mais dans un autre contexte, que le terme « nègre » poétisé par Léopold Sédar Senghor[33]. Pour mieux saisir les enjeux et les écarts de cette énergie identitaire caractérisant la vie politique américaine, il convient de se reporter aux travaux d’Eve Kosofsky Sedgwick, autrice du célèbrissisme ouvrage Epistémologie du placard dont le titre résonne désormais d’une autre manière à l’aune de la théorie lacanienne du fantasme caractérisé par un enfermement mortifère pour le sujet. Eve Kosofsy Sedgwick qui précise que « la politique des identités » aux Etats-Unis signe « un refus historique de toute analyse en termes de classes », en terre américaine du fait, notamment de « l’absence quasi totale d’une gauche politique significative après la guerre »[34].

 

Autre point crucial à garder à l’esprit dès qu’on cherche à comprendre les spécificités des études queers — notamment la logique des idéaux qui les soutiennent —, ce sont les liens avec l’épidémie de VIH/sida à quoi elles sont également indissociablement liées, ou plutôt aux réponses communautaires de celles et ceux qui furent contaminés à partir des années 1980 et confrontés à la violence, à l’expérience du rejet et de la discrimination comme en témoignèrent les premiers activistes du mouvement Queer Nation. Les premiers argumentaires stigmatisants introduirent une distinction entre d’une part, les uns souffrant d’hémophilie et porteurs du VIH du fait de l’impéritie des politiques de santé publique, et les autres dont on considérait qu’ils l’avaient bien cherché cette contamination, en raison de mœurs dissolues et de conduites jugées moralement inacceptables : homosexuels, héroïnomanes, haïtiens. Violence d’autant plus grande qu’elle succèdait à un temps dit de libération sexuelle dans l’aire occidentale se traduisant, au plan juridique, par des modifications importantes du droit ; pour la France par exemple : loi Neuwirth de 1967 qui autorise l’usage des contraceptifs, loi Veil de 1975 pour la dépénalisation de l’IVG, loi Forni en 1982 abrogeant le délit d’homosexualité[35], etc. Ce point est crucial a rappelé car les études queers sont et restent, d’une part, indissociables des mouvements sociaux qui ont porté une contestation et des revendications de justice sociale et concernent la politisation des questions sexuelles. D’autre part, les études queers, ou plutôt les utopies qui les orientent[36], sont peut-être aussi l’un des effets des deuils à répétition et de tentative de socialisation des pertes humaines dans un contexte particulièrement atroce et à un moment où précisément, il n’y avait pas d’expression sociale des morts du sida[37]. Autrement dit, les études queers portent en elles, intrinsèquement, la question du trauma et de sa politisation, trauma portant sur celles et ceux concernés par des questions identitaires et des pratiques sexuelles minorisées qui firent l’expèrience de la stigmatisation et du rejet alors qu’en France par exemple, une première politisation des questions sexuelles avaient déjà émergé dans le débat public, portée par des groupes comme le FHAR, le CUAR, Les Gouines rouges etc[38]. Enfin, d’autres luttes spécifiquement étatsuniennes doivent être rappelées pour un entendement des enjeux politiques autour de l’émergence des études queers et de leur point de vue intersectionnel : luttes pour les droits civiques, luttes féministes, nouvelle culture de la drogue, etc.

 

Pour finir ce point trop rapide sur les rapports entre psychanalyse et études queers, rappellons aussi ce que l’introduction des études queers en France doit au travail éditorial d’un homme ; à savoir notre collègue Jean Allouch, récemment décédé et dont la collection « Les grands classiques de l’érotologie moderne » aux Editions EPEL mit à l’orée des années 2000, à la disposition du lectorat francophone, une première bibliothèque queer comprenant les principaux auteurs : Judith Butler, Gayle Rubin, Lee Edelman, Léo Bersani, David Halperin, etc.

 

Au fond, rares sont les travaux qui tentent une articulation entre psychanalyse et études queers, je veux dire qui la tentent sérieusement. Le plus souvent, il s’agit de vérifier, du côté des psychanalystes, combien les théoriciens queers se trompent dès qu’ils abordent le corpus freudo-lacanien en s’étonnant ou ricanant d’une telle obstination dans l’erreur (doctrinale) qui durerait maintenant depuis plus d’une trentaine d’années, et sans mesurer tout à fait la sorte de provincialisation dont ils frappent eux-mêmes leurs propres travaux. Du côté des auteurs queers, la psychanalyse et ses concepts sont largement remis en cause comme dispositif disciplinaire qui reconduirait les inégalités de genre et/ou liées à l’ethnicité au nom de la référence au système hétéropatriarcal et de la différence des sexes, dans un amalgame qui ne fait pas de distinction, par exemple entre les deux corpus ou encore qui méconnait du sexuel les effets morbides de la jouissance. Bref comme l’indique Tim Dean dans l’article « Lacan et la théorie queer » paru en 2003, les théoriciens queers :

n’ont pas su exploiter la lecture radicale de Freud par Lacan : malgré ses aspects postmodernes, la critique « queer » s’en tient à une psychanalyse orthodoxe proche de l’annafreudisme[39].

 

Avant d’indiquer en quoi, Lacan presque queer devrait faire date pour les deux champs, par le fait qu’il se démarque notamment de ces deux types de positionnement, signalons le travail extrêment utile engagé par Fabrice Bourlez notamment dans Queer psychanalyse. Clinique mineure et déconstructions du genre[40]  paru en 2018. Bourlez est selon moi, le premier à engager véritablement un dialogue entre les deux champs non pas pour dire ce que serait une « bonne  » approche doctrinale de la psychanalyse mais bien plutôt pour tenter de forger des outils supplémentaires de compréhension (d’inspiration deleuzienne) visant à éclairer les conduites de cure à une époque, la nôtre, qui n’est plus tout à fait la même que celle de Lacan. Queer Psychanalyse est un effort pour considérer les liens complexes entre psychanalyse et études queers à la faveur d’une recherche qui, sans jamais lâcher la question de la clinique du cas, croise praxis analytique et déconstruction des savoirs. Fabrice Bourlez donne aussi à entendre quelque chose du désir du psychanalyste LGBTQI+OC en déployant, avec tact, une position à l’appui d’outils théoriques qui articulent une clinique de la jouissance à l’aune, notamment, des conséquences des modifications substantielles des règles de l’alliance et de la parenté qu’ont connues les sociétés occidentales depuis une vingtaine d’années.

 

Parmi les réserves concernant ce que les études queers peuvent dire de la psychanalyse, Bourlez souligne qu’un certain nombre des questionnements queers se déduisent aussi d’une morale sexuelle aux prises avec ses propres idéaux au caractère tantôt prescriptif dont il n’est pas inutile d’en repèrer les effets morbides et l’illusion trompeuse d’une transparence du sujet à lui-même. S’il n’est guère possible dans le cadre de cette communication d’en produire une lecture critique, je note toutefois que ce bon sexe illustré — peut-être annafreudien comme le suggère Tim Dean — sonne parfois aussi comme antéfreudien en son caractère idéologique car oublieux de ce point de vérité qui dirige l’intervention du psychanalyste lorsqu’il invite l’analysant à examiner quelle est sa propre part au désordre dont il se plaint[41]. Or, ce positionnement antéfreudien, c’est-à-dire antérieur à la rupture épistémologique introduite par Freud et son choix pour la logique du fantasme au dépens d’une approche par la voie du trauma (soit le renoncement à la fameuse neurotica), peine à élaborer ce qu’il en est de la division subjective — mais est-ce du ressort des études queers ? — division dont il est bien naïf de considérer qu’elle ne serait que l’effet d’un rejet social (sociétal comme symbolique) même si ce dernier doit, sans cesse, être renvoyé à la violence intrinsèque qui le constitue.

 

Au final, il me semble que ce à quoi invitent les études queers c’est bien à une politisation de la psychanalyse. Celles et ceux qui ont lu Testo junkie de Paul Preciado ont peut-être sursauté ou été séduits à la lecture de cette affirmation : « La queeranalyse ne s’oppose pas à la psychanalyse, elle la dépasse en la politisant » [42]. Politisation des questions sexuelles qui concerne désormais la psychanalyse selon le philosophe espagnol, ou mieux dit, qui concerne à nouveau la psychanalyse. En effet, outre la radicalité de Lacan relisant Freud déjà évoquée, Florent Gabarron-Garcia a rappelé de son côté dans Histoire populaire de la psychanalyse[43], le legs révolutionnaire de notre discipline — qui donc ne date pas d’hier ni de Préciado — et combien ladite neutralité de la psychanalyse dans le débat public — neutralité dont je rappelle qu’elle est passée d’un usage technique pour les conduites de cure à un positionnement idéologique de l’IPA (qui en n’est guère sorti grandi[44]), face à la montée des totalitarismes européens dans les années 1930. Cette neutralité donc, est désormais une situation hautement politique justifiant les pires positions de cette psychanalyse réactionnaire qui encombre notre champ et qui s’acharne désormais sur les questions trans* au nom des intérêts supposés de l’enfant et à l’appui d’un sociologisme médiocre qui ignore les résultats des enquêtes de terrain récentes, notamment, celle d’Emmanuel Beaubatie, intitulée Transfuges de sexe parue en 2021[45]. Cette politisation qui ne dit pas son nom devient évidente dans ses effets réactionnaires si on se rappelle cette remarque de Bourdieu concernant « l’importation des modèles politiques dans le champ scientifique » :

La « politisation » est presque toujours le fait de ceux qui (…) sont les plus faibles selon les normes spécifiques, et ont donc intérêt à l’hétéronomie (…) : en faisant intervenir des pouvoirs externes dans les luttes internes, ils empêchent le plein développement des échanges rationnels[46].

 

Donc, ce que j’essaie de vous dire ici, c’est qu’au fond je me moque bien de savoir si la queeranalyse est l’avenir de la psychanalyse ou pas. Certes, les deux champs partagent, par certains côtés, des problèmatisations communes, notamment en termes d’éthique même si cela passe par des voies différentes et, à ceci près, que la psychanalyse n’est pas un projet de transformation des aspects les plus conservateurs de la société ni une vision du monde au service des biens de la cité. Certes le positionnement des études queers permet de mettre en évidence des systèmes d’oppression qu’on n’aperçoit pas autrement et auxquels la psychanalyse, à certains moments, a pu contribuer à soutenir, que ce soit au plan doctrinal, en termes de conduite de cure ou encore s’agissant de la garantie des praticiens LGBTQI+OC. C’est pourquoi il me semble que cette idée d’une politisation de la psychanalyse est nécessaire à avoir en tête pour situer la place du discours psychanalytique parmi les autres discours contemporains. Mais de quelle politisation parlons-nous si l’on ignore la radicalité de la lecture par Lacan du corpus freudien, où il est fait la part belle à la logique d’émancipation qui caractérise les buts de la pratique de cure et son positionnement éthique. C’est pour cela que Lacan presque queer fait date car il rappelle également, et contrairement à ce qu’affirme Preciado, que la psychanalyse lacanienne ne reconduit pas la « cage de l’épistémologie binaire de l’hétérosexualité »[47] et les dispositifs d’oppression qui s’en déduisent. Mais, bien sûr, s’il est salutaire de rappeler qu’il est inexact d’imputer à la théorie lacanienne de la fin des années 1950 un familialisme naturalisé et réactionnaire, il est indéniable également que cette domination masculine et les oppressions qui en découlent continuent largement d’opérer de par le monde et que son étendard reste l’hétéronormativité.

 

Politisation des traumas et amour du prochain

Au terme de cette communication, je voudrais vous présenter quelques éléments cliniques qui se déduisent d’une rencontre avec Victor, rencontre brève puisque Victor mettra fin, par sms, au travail engagé à l’issu du troisième rendez-vous, sans doute du fait d’une intervention maladroite de ma part. Rencontre qui m’intéresse ici aussi pour ce qu’elle dit des logiques en jeu tant au plan du cas que du collectif, logiques qui travaillent le militantisme queer. Et évidemment, cette vignette je la construis à partir des données cliniques particulièrement opératoires que livrent Lacan presque queer s’agissant de la logique du fantasme et de la sublimation dans leur rapport à La Chose.

 

La politisation des traumas queers[48] est un effet, pour une part, du nouage entre pratiques militantes des activistes queers et formalisation proposée par la théorie critique contemporaine. Nouage dont je disais qu’il s’est produit initialement par la mobilisation des acteurs de la lutte contre l’épidémie de VIH/sida, eux-mêmes bien souvent directement concernés par cette maladie. Il s’agissait par exemple à l’association Aides à Paris, dans les années 1990, de proposer des groupes d’autosupport non mixtes à des personnes infectées par le virus du VIH en leur garantissant un espace d’appartenance mais aussi un espace sécurisé de prise de parole entre pairs visant la recherche de solutions pragmatiques et, sans doute, une collectivisation de l’angoisse. Des espaces sociaux queers dits safes ou inclusifs ont vu le jour depuis, mais aussi des lieux festifs et/ou solidaires comme La Flèche d’or dans le XXème arrondissement de Paris, des lieux de vie allant de la colocation au squat. Bref, une sociabilité queer spécifiquement constituée d’espaces protégés et rassurants a émergé visant à garantir, au nom des valeurs communes de respect et de non stigmatisation, la sécurité de celles et ceux qui les fréquentent. Or, l’un des aspects notables de cette socialisation queer se manifeste dans la pratique du « trigger warning », soit cet avertissement qui prévient qu’une œuvre ou une prise de parole peuvent déclencher le rappel d’un traumatisme, avertissement produisant au sein des communautés queers, une police du langage. Comme l’indique le théoricien queer Jack Halberstam, non sans humour :

Voilà un des effets de la génération « tu me fais violence » [trigger generation]. En effet, rares sont les conférences, festivals ou autres rassemblements auxquels je participe [écrit-il] qui ne deviennent pas le théâtre de prostestations véhémentes contre un mode de représentation qui aurait fait violence à quelqu’un / quelqu’une, quelque part[49].

 

Ce « concourt de divas » qui entraine « une simplification outrancière des définitions du traumatisme »[50] ne doit pourtant pas faire oublier que, en contexte étatsunien notamment :

La revendication d’espace safe a fonctionné de concert avec les politiques urbaines d’accroissement de la surveillance des quartiers pauvres et de la gentrification des autres[51].

 

Autrement dit, au-delà des blessures identitaires, Halberstam appelle à ne pas lâcher la proie pour l’ombre, en l’espèce, le fait que le discours sécuritaire queer risque de laisser « complètement tomber la lutte contre les formes toujours plus agressives d’exploitation »[52].

 

Or c’est bien ce type de problème qui conduit Victor à prendre rendez-vous. Victor a 28 ans, il est artiste plasticien et est orienté par l’association Psygaies, association qui, depuis 1996, assure des permanences d’accueil au Centre LGBTQI+ d’Ile-de-France et propose des orientations vers un réseau de praticiens réputés être sensibles et sensibilisés aux discriminations de genre ou liées à l’orientation sexuelle. Il a sollicité un rendez-vous car dit-il « je suis près de chez vous et il parait que vous êtes super ». Ce critère de proximité dont il m’affuble est crucial pour Victor : il ne saurait s’adresser à un psy qui ne soit pas non plus, par quelque manière, un proche… du reste durant la première séance, il testera ma connaissance des principales problèmatisations queers à quoi, je répondrai, pas immédiatement certes, mais en citant les « bons » auteurs. Victor vit depuis plusieurs mois dans un squat d’artistes en proche banlieue et redoute de se faire expulser par sa comunauté. Cette expulsion serait catastrophique pour lui, car outre la dimension bohême de ce mode de vie qui est aussi un choix subversif, le squat est d’abord un recours face à diverses difficultés sociales dont celles de l’accès à un logement pour un jeune homme vivant de revenus de transfert, en l’espèce le RSA[53].

 

La plainte qui motive sa demande de rendez-vous porte sur un événement survenu récemment : au terme d’une soirée organisée dans le squat par des proches, Victor, exaspéré, sort du lit où il cherche un sommeil qui ne vient pas, et, dans l’état de nature qui est celui de tout homme qui a renoncé à se vêtir, il rejoint le groupe à l’étage et pisse sur les convives affalés sur les canapés… moment d’exhibition urinaire dont la relation n’est pas sans lui faire plaisir. Il m’indique aussi qu’il consulte sous la pression de sa communauté qui a vécu de manière très agressive son passage par l’acte (mictionnel). Lui-même n’est pas vraiment convaincu de la gravité de son acte qui le divise tout de même un peu car, à ce moment-là dirai-je, il parle au nom de sa communauté. C’est sans doute pour cela que ma tentative pour nuancer les effets de l’acte urinaire en en pointant l’aspect comique et enfantin afin d’en desserrer quelque peu l’étau surmoïque n’opère pas. Je le comprendrai trop tard : cette manière de chercher à faire alliance s’avérera trop angoissante pour Victor. En fait, Victor a déjà posé un diagnostic : son acte ne fait-il pas de lui un borderline ? Son autodiagnostic qui reste à valider serait une première explication à fournir à sa communauté où d’autres membres se placent eux-mêmes sous divers diagnostics : « troubles du spectre autistique », « HPI hypersensible », etc. qui sont autant d’avertissements et de limites dans un lieu — le squat — où une organisation rigoureuse est censée régler la vie commune puisque le recours au droit et à son appareil judiciaire est difficilement envisageable, sans parler de la police qui ne peut être appelée mais dont on sait qu’elle interviendra, de manière plus ou moins musclée, au moment de l’évacuation du squat. Victor n’aperçoit pas — ou alors c’est secondaire pour lui — l’effet d’essentialisation de ces autodiagnostics, autrement dit, d’enfermement moi idéaltypique qui visent aussi peut-être à formuler une singularité, ou plutôt une subjectivité dans une communauté visant l’abrasion des différences de classe, de genre et de race. Ici me revient un slogan publicitaire pour un site de revente en ligne, slogan vu dans le métro parisien invitant les consommateurs à « Trouver la différence qui [leur] ressemble ». Donc là encore, du proche, du prochain, du même. Je rappelle ce fait anecdotique pour souligner que l’une des lignes de crête des études queers visent précisément à ne pas tomber dans les travers de l’individualisme néolibéral en préservant les intérêts de la communauté et les principes de sa lutte. Bien sûr, cette pente autodiagnostique qui trouverait sa confirmation auprès d’un expert convenablement situé, c’est-à-dire idéologiquement proche, visent aussi à formuler quelque chose du trauma qui travaille tout un chacun, mais il s’agirait ici d’un trauma débarrassé de sa psychologisation. En effet, ce trauma dépsychologisé trouve son expression théorique chez un auteur comme José Esteban Muñoz qui se réfère aux travaux d’Eve Kosofsky Segwick évoquant une « herméneutique réparatrice »[54] soit cette politisation des traumas qui permettrait de sortir de la « maison d’arrêt »[55] de l’ici et le maintenant pour en déduire une utopie de la réparation avec sa promesse d’un « advenir queer » — advenir, c’est-à-dire un site qui ne soit pas un futur — toujours pensé pour nos enfants comme le signale Lee Edelman rappelant que les politiques publiques, de gauche comme de droite, agissent au nom des intérêts de l’enfant, à entendre ici en son caractère surmoïque[56]. Site, dont Muñoz attend qu’il soit le lieu où il s’agirait de « s’efforcer de penser et sentir un après et ailleurs ». Donc en dehors de la « maison d’arrêt », c’est-à-dire hors de la cage du fantasme dont Zafiropoulos a livré les principales coordonnées à l’aune de sa lecture de Lacan. Mais, aussi, cage du fantasme qui, ici, se redouble des effets sublimatoires d’une doctrine, les études queers, qui impose aussi ses idéaux, par certains aspects, inhibiteurs sinon morbides.

 

Autre point qui retient l’attention de Victor : son regard… noir comme celui d’un aigle dit-il. Dans le squat, on dit de son regard qu’il le rend inquiétant, et du reste Victor surjoue ce trait en s’épilant intégralement les sourcils, ce qui renforce effectivement un air aquilin. Il en déduit un trait de racisation : son père, kabyle, étant, selon ses dires, « très typé ». Au fond, ici Victor tente d’endosser un trait du père. C’est-à-dire endosser, en-deça ou au-delà de son humanité — mais qui lie cette humanité à la chaine signifiante —, la position d’une figure inquiétante et complexe qui, tel un masque à transformation Kwakiult, révèle sous un aspect d’animal, une face humaine dès qu’on en ouvre les volets. Je vous renvoie à mon commentaire de Jeunesse de Gide par Lacan[57], non sans vous rappeler ici que les masques à transformation Kwakiutl ont pour fonction d’articuler plusieurs rapports impossibles à réduire : ce qu’il en est, d’une part, de la fonction de ces masques qui performent, selon une même logique signifiante, le passage du totem à l’individu —  ici l’aigle — (et inversement), et d’autre part qui actent, à la faveur du rite, qu’il n’est d’homme sans nature. Mais bien sûr, ce qui vaut pour les communautés amérindiennes du Pacifique Nord comme solution sociale au vivre ensemble n’est pas nécessairement opérant au sein du squat de Victor qui pourtant a bien identifié la place singulière et paradoxale qui est la sienne dans ce commun queer : soit celle d’un leader. C’est lui, dit-il, qui porte la vie collective du groupe, qui est force de proposition, qui organise les événements de la vie du squat, notamment des installations ou des performances ouvertes sur la cité. C’est lui aussi qui est souvent appelé pour trancher les conflits relationnels au sein du squat et dont l’équité des réponses est guettée. C’est lui enfin qui identifie que s’il ne propose rien, il ne se passe rien, ou plutôt si : « ils sont [dit-il en parlant des autres membres du squat] chacun dans leur chambre en train de déprimer en regardant Netflix ».

 

Cette position d’autorité que Victor imagine occuper s’accompagne aussi pour lui de quelques privilèges à défaut de droits. Ainsi, il y a cette autre soirée, évoquée non sans peine, soirée un peu arrosée donc, où circulait aussi de la 3 MMC (pour méthylméthcathinone), substance de synthèse psychoactive stimulante qui amplifie la capacité d’empathie et le désir de contact avec autrui. Cette nuit-là, Victor séduit un jeune homme également occupant du squat. S’ensuit un rapport sexuel où selon les propres dires de Victor, il « encule son amant » sans être tout à fait sûr du consentement de ce dernier, lequel amant dans les jours qui suivront, lui signifiera la violence de son acte et sans doute, aussi, la vraie raison du mouvement de rejet engagé par sa communauté. Les associations d’idées de Victor le conduisent à évoquer ce soir d’anniversaire où jeune enfant, il se retrouve seul avec sa mère. Une fête a été organisée mais son père ne vient pas, préférant la sociabilité d’un bistrot aux réjouissances appelées par la commémoration du jour de la naissance de Victor. Après quelques heures à attendre, la mère furieuse prendra alors son fils sous le bras et ira « foutre le bordel » au bistrot où se trouve le père. Cet acte de la mère furieuse, Victor le vit comme l’acte d’héroïsme de celle qui se défait d’une oppression, acte qui inflige aussi à son fils, accessoirement, une honte qu’il reconnait à mi-mots mais non sans émotions. De cette fête d’anniversaire raté, il pourra associer que lui-même au fond aime « foutre le bordel » comme sa mère, mais en revanche, il apercevra moins ce que ce comportement doit aussi aux effets d’une chaine signifiante qui l’oblige, le contraint, l’enferme dans ce squat, qui à sa manière, est aussi une maison d’arrêt imaginaire dont il ne voit pas les portes ouvertes sur un ailleurs. Occupé à provoquer une fête qui ne vient pas, il craint que sa communauté ne la lui fasse, sa fête, sans doute comme sa mère la fit à son père. Ses frères et sœurs de la communauté, si proches de lui par plusieurs aspects (dont l’adelphité) sont pourtant près de le mettre dehors au nom d’une loi dont Victor n’en apprécie la valeur qu’à la transgresser. Lorsque dans cette ultime séance où il dénonçait le désintérêt de son père à son endroit, je pointais aussi le fait de la mère qui certes a foutu le bordel au bistrot mais aussi foutu le bordel à sa fête d’anniversaire qui n’aura pas lieu, Victor restera interloqué, sans doute plus que je ne l’ai apprécié. Lorsqu’au terme de cette même séance, je pointais aussi la coloration très puritaine de sa vie communautaire si réglée, si soumise aux tourments exhibés des individus qui la composent — entre masochisme et exhibition à l’instar de La Lettre écarlate de l’américain Nathaniel Hawthorne — ce fut trop.

 

Victor a mis fin au travail à peine engagé par l’envoi d’un sms où il écrit : « Malheureusement je ne suis pas très enjoué par nos deux derniers rdv et préfère me tourner vers quelqu’un d’autre ». De n’avoir pas entendu qu’il me plaçait au lieu de celle qui avait gaché la fête, j’allais moi-même foutre le bordel au bistrot queer en déconstruisant trop rapidement la solution communautaire produite par Victor, en la renvoyant aux idéaux d’une communauté, par certains aspects puritains, là où lui y voyait le lieu d’une fête… la fête dont, petit, il avait été privé.

 


[1] La séance en question s’est tenue le 14 novembre 2023.

[2] M. ZAFIROPOULOS, Lacan presque queer. L’éthique de l’homme occidental et les buts moraux de la psychanalyse, Toulouse, Erès, 2023, 207 p.

[3] J.-P. MORDIER, Les débuts de la psychanalyse en France 1895-1926, Paris, Maspero, 1981, 279 p. ; A. OHAYON, Psychologie et psychanalyse en France. L’impossible rencontre (1919-1969), Paris, La Découverte, 2006, 444 p. Plus récemment : O. DOUVILLE, La psychanalyse dans le monde du temps de Freud : chronologie, Toulouse, Erès, 2023, 488 p.

[4] B. ALEKSIC, « Freud et les surréalistes, ses « fous intégraux » », Topique, 2011/2, n°115, p. 93-112.

[5] L. LE CORRE, L’Homosexualité de Freud. Première contribution à une anthropologie psychanalytique de l’homosexualité masculine, Université Denis Diderot – Paris VII, thèse de doctorat soutenue le 28/02/2015, vol.1, p. 358-362.

[6] L. LE CORRE, L’Homosexualité de Freud, Paris, Puf, 2017, p. 214-220.

[7] M. FOUCAULT, Histoire de la sexualité. Tome 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 157-158.

[8] M. ZAFIROPOULOS, Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud 1951-1957, Paris, Puf, 2003, 250 p.

[9] P. BOURDIEU, Les Usages sociaux de la science. Pour une sociologie clinique du champ scientifique, Paris, Editions INRA, 1997, p. 13.

[10] D. HARAWAY, « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature, Paris, Actes Sud – Editions Jacqueline Chambon, 2009 (1991), p. 323-353.

[11] S. ZUCKERMAN, La vie sexuelle et sociale des singes, Paris, Gallimard, 1937 (1932), 251 p.

[12] V. DESPRET, « Quand les mâles dominaient… Controverses autour de la hiérarchie chez les primates », Ethnologie française, 2009/1, vol. 39, p. 45-55.

[13] L’ensemble de ce paragraphe doit beaucoup au blog de Penseur sauvage, chapitre 1, épisode 14. Cf. : https://youtu.be/wN11r3n1snU?si=nMNyjINTDp_g21eB

[14] V. DESPRET, op. cit., p. 47.

[15] P. B. PRECIADO, Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une académie de psychanalystes, Paris, Grasset, 2020, 127 p.

[16] L. LE CORRE, « Folle analyse : à propos du psychanalyste LGBTQI », In Analysis, 2021, vol 5, n°1, p. 47-53.

[17] L. LAUFER, « Du rire à la joie : psychanalyse, féminisme et politique », Cahiers du genre, 2020, vol 1, n°68, p. 191-218.

[18] T. AYOUCH, « Psychanalyse et colonialité : le pouvoir d’être affecté.e par la race », Le Pouvoir d’être affecté. Souffrances, résistances et émancipation (dir. V. BRUNETIERE, P. CINGOLANI, O. DEBARY, L. LAUFER, G. LE BLANC, F. TARRAGONI), Paris, Hermann, 2022, p. 291-312.

[19] La mise au point de Markos Zafiropoulos quant au phallus qui s’origine du côté du désir de la mère chez Lacan — et ne peut donc être réduit au signifiant de l’hétéropatriarcat — est exemplaire de l’effort théorique (toujours) à produire par un retour aux textes fondamentaux du champ. Voir : M. ZAFIROPOULOS, « Les buts moraux de la psychanalyse : Antigone, Lacan et Butler », Sygne, 2024, n°5.

[20] M. ZAFIROPOULOS, Lacan presque queer, op. cit., p. 10, n. 14.

[21] L. BONI, S. MENDELSOHN (dir.), Psychanalyse du reste du monde. Géo-histoire d’une subversion, Paris, La Découverte, 2023, p. 6.

[22] Outre les auteurs déjà cités, voir : « Aimons-nous le sexe », Trou noir. Revue de la dissidence sexuelle, Octobre 2023, n°2, 186 p. ; G. ANZALDUA, Terres frontalières – La frontera. La nouvelle mestiza, Paris, Editions Cambourakis, 2022, 336 p. ; P. BACHETTA, J. FALQUET, « Introduction aux « théories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas étatsuniennes » », Les Cahiers du CEDREF, 2011, n°18, p. 7-40. ; H. K. BHABHA, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007 (1994), 414 p. ; J. BUTLER, Trouble dans le genre, Paris, Editions La Découverte, 2005 (1990), 283 p. ; P. CLOCHEC, N. GRUNENWALD (dir.), Matérialisme trans, Paris, Hystériques et associéEs, 2021, 281 p. ; L. EDELMAN, Merde au futur. Théorie queer et pulsion de mort, Paris, EPEL, 2016, 226 p. J. HALBERSTAM, « « Tu me fais violence ! » La rhétorique néolibérale de la blessure, du danger et du traumatisme », Vacarme, été 2015, p. 28-41. ; J. HALBERSTAM, Trans*. Brève histoire de la variabilité de genre, Paris, Editions Libertalia, 2023 (2018), 223 p. ; T de LAURETIS, Théorie queer et cultures populaires. De Foucault à Cronenberg, Paris, La Dispute, 2007, 189 p. ; C. LE CERF MAULPOIX, Ecologies déviantes. Voyage en terres queers, Paris, Editions Cambourakis, 2021, 356 p. ; N. MILLNER-LARSEN, G. BUTT, « Introduction. The Queer Commons », GLQ : A Journal Of Lesbian and Gay Studies, 2018, 24/4, p. 399-419. ; J. E. MUÑOZ, Cruiser l’utopie. L’après et l’ailleurs de l’advenir queer, Montreuil, Editions Brook, 2021 (2009), 318 p. ; B. PERREAU, Qui a peur de la théorie queer ?, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2018, 314 p. ; G. REBUCINI, « Marxisme queer : approches matérialistes des identités sexuelles », Matérialismes, culture et communication. Tome 2 : Cultural studies, théories féministes et décoloniales (M. CERVULLE, N. QUEMENER, F. VÖRÖS dir.), Paris, Presses des Mines, 2016, p. 213-226. ; J. ROUGHGARDEN, Le Gène généreux. Pour un darwinisme coopératif, Paris, Editions du Seuil, 2012, 315 p. ; R. GAYLE, « L’économie politique du sexe : transactions sur les femmes et systèmes de sexe/genre », Les Cahiers du CREDEF, 1988 (1975), 1988, n°7, p. 3-81. ; R. GAYLE, Surveiller et jouir : anthropologie politique du sexe, Paris, EPEL, 2010, 484 p. ; R. GAYLE, J. BUTLER, Marché au sexe, Paris, EPEL, 2001 (1994), 176 p. ; E. KOSOFSKY SEDGWICK, « Construire des significations queer », Les Etudes gay et lesbiennes. Colloque du Centre Georges Pompidou 23 et 27 juin 1997 (textes réunis par D. ERIBON), Editions du Centre Pompidou, 1998, p. 110. ; E. KOSOFSKY SEDGWICK, Epistémologie du placard, Paris, Editions Amsterdam, 2008 (1990), 257 p. ; F. ZAPPINO, Communisme queer. Pour une subversion de l’hétérosexualité, Paris, Editions Syllepse, 2022, 260 p.

[23] Sur les travaux articulant psychanalyse et études queers (outre les auteurs déjà cités), voir : T. AYOUCH, Psychanalyse et hybridité. Genre, colonialité, subjectivations, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2018, 221 p. ; L. BERSANI, Homos. Repenser l’identité, Paris, Odile Jacob, 1998 (1995), 217 p. ; L. BERSANI, Le Rectum est-il une tombe, Paris, EPEL, 1998 (1987), 77 p. ; F. BOURLEZ, Queer psychanalyse. Clinique mineure et déconstructions du genre, Paris, Hermann, 2018, 311 p. ; V. BOURSEUL, Le Sexe réinventé par le genre. Une construction psychanalytique, Toulouse, Erès, 2016, 230 p. ; N. EVZONAS, Devenirs trans de l’analyste, Paris, Puf, 2023, 443 p. ; F. FAJNWAKS, C. LEGUIL (dir.), Subversion lacanienne des théories du genre, Paris, Editions Michèle, 2015, 165 p. ; « Follement extravagant. Le psychanalyste un cas de nymphe ? », L’Unebévue. Revue de psychanalyse, hiver 2001 printemps 2002, n°19, 181 p. ; L. LAUFER, Vers une psychanalyse émancipée. Renouer avec la subversion, Paris, La Découverte, 2022, 248 p. ; « Les Communautés électives. I – Une subjectivation queer ? », L’Unebévue. Revue de psychanalyse, printemps 2000, n°15, 113 p. ; S. LIPPI, P. MANIGLIER, Sœurs. Pour une psychanalyse féministe, Paris, Editions du Seuil, 2023, 335 p. ; P. MACARY-GARIPUI, « Le mouvement queer : des sexualités mutantes ? », Psychanalyse, 2006, vol. 3, n°7, p. 43-52. ; S. PROKORIS, Au bon plaisir des « docteurs graves ». A propos de Judith Butler, Paris, Puf, 2017, 264 p. ; J. SAEZ, Théorie queer et psychanalyse, Paris, EPEL, 2005 (2004), 220 p.

[24] L. LE CORRE, « Les saintes trans* et le psychanalyste : pour un renouvellement du domaine de l’éros », Figures de la psychanalyse, 2023/1, n°45, p. 141-152.

[25] C. LECERF MAULPOIX, op. cit.

[26] F. ZAPPPINO, op. cit.

[27] G. REBUCINI, op. cit.

[28] J. ROUGHGARDEN, op. cit.

[29] T. de LAURETIS, « Queer theory : lesbian and gay sexualities. An introduction », Differences : a journal of feminist cultural studies, 1991, vol. 3, n° 2, p. III-XVIII.

[30] P. BACHETTA, J. FALQUET, op. cit., p. 7-40. Notons que dans ce débat de préséance queer, les effets d’invisibilisation d’une autrice racisée semblent avoir opéré.

[31] G. ANZALDUA, op. cit.

[32] P. MACARY-GARIPUI, op. cit., p. 43-52 ; J. SAEZ, op. cit., p. 21.

[33] L. S. SENGHOR, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, Puf, 2015 (1944), 227 p.

[34] E. KOSOFSKY SEDGWICK, « Construire des significations queer », op. cit., p. 110.

[35] A. IDIER, Les alinéas au placard : l’abrogation du délit d’homosexualité (1977-1982), Paris, Editions Cartouche, 2013, 202 p.

[36] J. E. MUÑOZ, op. cit.

[37] L. LE CORRE, « Homosexualité masculine et sida : entre impasse identitaire et héroïsme de la perte », Synapse, 2005, n°216, p. 29-32.

[38] M. PRAERO, Le mouvement politique de l’homosexualité. Mouvements, identités et communautés en France, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2014, 333 p.

[39] T. DEAN, « Lacan et la théorie queer », Lacan (sous la direction de J-M RABATE), Paris, Bayard, 2005 (2003), p. 291.

[40] F. BOURLEZ, op. cit.

[41] J. LACAN, « Intervention sur le transfert prononcée au congrès dit des psychanalystes de langue romane, de 1951 », Ecrits, Paris, Editions du Seuil, 1966, p. 219.

[42] P. B. PRECIADO, Testo junkie. Sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset, 2008, p. 325. Notons que le point le plus problématique dans ce passage d’une « psychanalyse » à une « queeranalyse » est peut-être l’élision du « psy ».

[43] F. GABARRON-GARCIA, Histoire populaire de la psychanalyse, Paris, La fabrique éditions, 2021, 216 p.

[44] L. LE CORRE, « Guérir l’homosexualité masculine ? », Figures de la psychanalyse, 2018, n°36, p. 79-91.

[45] E. BEAUBATIE, Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre, Paris, La Découverte, 2021, 177 p.

[46] P. BOURDIEU, op. cit., p. 61.

[47] M. ZAFIROPOULOS, Lacan presque queer, op. cit., p. 8.

[48] Formule que j’emprunte au philosophe Pierre Niedergang. Voir : P. NIERDERGANG, Vers une normativité queer, Toulouse, Blast, 2023, p. 73-121.

[49] J. HALBERSTAM, op. cit., p. 32.

[50] Ibidem, p. 35.

[51] Ibid., p. 39.

[52] Ibid., p. 40.

[53] A. PETIAU, L. POURTAU, Vivre en squat. Une bohême populaire au XXIe siècle, Paris, CNRS Editions, 2014, p. 171.

[54] J. E. MUÑOZ, op. cit., p. 36.

[55] Ibidem, p. 19.

[56] L. EDELMAN, Merde au futur. Théorie queer et pulsion de mort, op. cit.

[57] L. LE CORRE, « Gide, l’homo de Lacan : quelques remarques à propos de Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », Sygne, n°3, 2020, revue en ligne.