Structuralisme dans le blues – Corinne GARCIA

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Structuralisme dans le blues – Corinne GARCIA


ENCORE


 

La revue Sygne, qui se propose d’aborder des thématiques sociales et culturelles dans leur modernité, ne pouvait négliger un fait culturel rempli de symboles, qui convoque le sensible et l’intelligible : le fait musical. La musique est un universel anthropologique, il n’existe nulle part de sociétés étrangères au fait musical. Et pourtant, du fait probablement aussi de cette universalité, il est extrêmement difficile de rendre compte du fait musical et de son écoute. Intellectuels, penseurs, philosophes, musicologues, ethno-musicologues affrontent et ont affronté cet objet sans en percer le mystère. Ses aspects formels et stylistiques sont théorisés, mais il est quelque chose dans la musique qui reste définitivement inaccessible à  sa compréhension. Claude Lévi-Strauss, mélomane averti l’avait posé : la musique est « le suprême mystère des sciences de l’homme, celui contre lequel elles butent et qui garde la clé de leurs progrès. »[1]

 

On « tourne » autour de cet objet, en mobilisant des champs et des corpus théoriques, que ce soit l’histoire, l’anthropologie, la musicologie, l’ethno-musicologie, la sociologie, la psychanalyse, et maintenant la bio-musicologie, sans pouvoir rendre compte de tout le phénomène.

 

Ce texte ne lèvera pas le voile, et recourra aussi à des descriptifs esthétiques stylistiques, sensoriels, qui ne rendront compte que bien en deçà, de l’espoir qui est formé de partager une expérience et une écoute musicale, et de restituer toute son intelligibilité au fait musical. Le genre musical choisi n’est pas celui de la musique dite savante, c’est même un genre parfois mésestimé. C’est pourtant une musique, gratifiée d’une abondante bibliographie, qui est à l’origine de genres musicaux majeurs dans notre modernité : le blues. Une musique à propos de laquelle Willie Dixon, compositeur et contrebassiste de grand talent, a dit qu’elle était « the roots, everything else is the fruits ».

 

Cet article se proposera de lire et penser LeRoi Jones, auteur de Peuple du blues[2], à partir du structuralisme de Lévi-Strauss ainsi que des théories esthétiques de l’iconologue Erwin Panofsky. D’aucuns pourraient trouver le rapprochement improbable dès lors que l’on sait que chacun de ces  auteurs s’est intéressé pour développer sa théorie à ce que l’on appelle de grandes œuvres, musique savante pour Lévi-Strauss (Wagner, Rameau, Ravel, Chopin notamment), peinture des primitifs siennois et flamands et de la Renaissance pour Panofsky. Pourtant, que ce soit à travers l’anthropologie du fait musical de Lévi-Strauss, notamment en ce qu’elle postule une analogie mythe/musique, ou que ce soit à travers une anthropologie de la forme symbolique qui pose la convergence mode de pensée/mode de création de Panofsky, on verra que le blues n’est pas seulement un phénomène artistique et social porté par un peuple, mais aussi un objet naturel de l’anthropologie structurale.

 

Il est dans toutes ses composantes exemplaire du concept de récit mythique, conçu comme arrière-fond de toute culture, et « matrice d’intelligibilité ayant une forme symbolique ». Il est aussi dans la forme esthétique qu’il propose à travers ses vastes possibilités expressives, et dans ses formulations sociales et culturelles, une forme symbolique qui a produit une révolution esthétique et musicale.

 

Ses origines sont, du point de vue anthropologique et symbolique,  le fruit de brassages, influences, opérant comme autant de fonctions symboliques et l’enracinant dans une culture qui a fondé une communauté musicale, puis « fait société ». C’est une musique aussi intensément incarnée par ses interprètes, qui l’ont perpétuée dans sa forme canonique, tout en la renouvelant constamment. C’est une musique puissamment communicative : un concert en live rend compte assez exemplairement du reste, de l’efficacité que peut avoir un  tel «  langage » sur le corps. Enfin, il s’agit d’une musique dont les musiques actuelles sont les héritières directes ou indirectes. Il n’y aurait jamais eu le rock’n roll sans le blues, ni toutes les musiques qui en ont dérivé.

 

C’est un concert éblouissant, qui s’est tenu à Paris pendant l’automne 2015, et une conversation avec les musiciens après leur set, qui ont inspiré les réflexions esthétiques et anthropologiques développées dans cet article. Ce concert, celui des Campbell Brothers, était exemplaire du point de vue de l’anthropologie du fait musical. Exemplaire aussi de ce que la musique procure, à savoir l’un des mélanges les plus harmonieux qui soit entre sensible et intelligible.

 

Quatre frères et un comparse composent ce groupe. Chuck, l’un des meilleurs musiciens au monde de pedal steel guitare, Darick à la lap steel guitare, Phil à la guitare, Carlton à la batterie. Daric Bennet complète la formation familiale (le blues est souvent une affaire de famille) à la basse.

 

Les compositions sont du répertoire blues–gospel, tel qu’il a été et est joué dans les églises du Sud profond des Etats-Unis. Cette formation s’y produit d’ailleurs toujours. Blues du delta, très authentique donc, joué avec l’inspiration religieuse du gospel. Le groupe appelle d’ailleurs sa musique la « sacreed steel », en référence au style des compositions et aux instruments utilisés pour la jouer. Les intonations musicales s’étendent du blues au « churchy » en passant par le « funky ». L’interprétation des musiciens, qui se donnent avec un engagement total, donnent à leurs compositions la puissance d’hymnes.

 

Les instruments joués méritent quelques développements. Hormis la guitare et la section rythmique qui sont habituelles, deux musiciens jouent de la pedal steel. C’est une « guitare » qui se joue assis et qui ressemblent à un métier à tisser. Le son produit n’est ni fixé, ni fini, et ressemble parfois à la voix humaine. Le son est étiré, étendu, et permet de prolonger des séquences musicales dans une légère discordance. Cela produit un sentiment d’amplitude. L’instrument requiert une technicité redoutable. Son apprentissage, disent les spécialistes, est «  douloureux ». La steel guitar comporte deux manches de 10 ou 12 cordes qui reposent sur 4 pieds télescopiques. Elle se joue avec une barre en acier (la steel bar) que le pedal steeler déplace sur les cordes de la main gauche. De la main droite, le musicien joue comme avec une guitare. Avec les jambes, des leviers sont actionnés par des courroies passées autour des genoux tandis que le pied droit en appuyant sur les pédales tend ou détend les courroies afin de jouer sur les variations de volume et d’expression. Comme pour l’orgue ou la batterie, les quatre membres du musicien sont mobilisés et désolidarisés, à la différence notable toutefois, que le geste technique de chaque membre mobilisé est parfaitement indépendant et différent des autres.

 

Les deux pedal steelers jouent avec une virtuosité fascinante. Leur jeu est totalement naturalisé, il semble sans effort : moment de grâce en les regardant, où l’art cache l’art. La technique atteint un tel degré de perfection, que l’instrument surgit comme un prolongement d’eux-mêmes : corps de l’instrument et corps de l’instrumentiste se prolongent et se complètent.

 

Musicalement, les mélodies se construisent sur une ligne où convergent mélancolie, nostalgie, fureur et énergie vitale. Les phrases s’étirent jusqu’à un point de tension extrême, pour se suspendre dans un break où ne se maintient qu’une rythmique rugueusement pulsée et hypnotique, pour repartir de nouveau à des points de paroxysme. La musique procède de variations et d’envolées, comme le jazz d’ailleurs, on entend le thème, la variation, de nouveau le thème, en même temps que persistent les répétitions rythmiques et modales. La temporalité est bouleversée, les tempi sont suspendus dans des syncopes qui accidentent subtilement les phrasés des instruments. Moments magiques aussi quand, sans que ne se dégage formellement un solo, le jeu de l’un des musiciens s’envole, se détache du jeu collectif pour le rejoindre magistralement dans un tempo millimétré. C’est de la haute voltige. C’est aussi un retour aux sources permanent, l’ombre tutélaire et bienveillante des pères du blues est palpable dans la salle. Si on cherche du transfert, et que l’on veut le voir travailler dans un moment où interprétation, réinterprétation et création fusionnent pour en livrer une expression in vivo, c’est bien dans un moment musical comme celui-ci.

« L’esprit ne descendra pas sans chants. »[3]

 

C’est un vieux dicton africain, dont LeRoi Jones considère qu’il est un « legs de l’Afrique à la culture afro-américaine », et qui a produit au cours de la christianisation du peuple Noir[4], la spécificité du gospel (Il faut réécouter Louis Armstrong sur « Go Down Moses »). L’église noire a toujours été comme le dit cet auteur, une « église d’émotion », et « l’apport (…) musical et émotif du ministre noir à l’office (…) considérable. »[5] Les Campbell Brothers sont habités par ce dicton, car ils chantent et interprètent leurs titres avec une inspiration hautement communicative, portés par une spiritualité qui les dépasse presque, et qui soulève la petite foule de leurs spectateurs dans un élan quasi-communiel. Au fil de la soirée, le groupe s’adjoint une chanteuse qui porte l’expressivité vocale à des sommets. Le public, conquis, vibre dans la joie d’une hétérophonie contagieuse.

 

Billie Holiday, qui a peu chanté de blues (son Billie’s blues, une référence dans le genre, est à écouter), a fait l’objet d’un nombre important de biographies. C’était une des plus grandes artistes qui ait existé, et c’est à elle que l’on doit l’invention du réalisme et de l’intonation dans l’expression musicale vocale jazz. Tous ses commentateurs ont tenté de rendre compte de la maîtrise parfaite qu’elle avait de son art. Elle menait une vie de « bâton de chaise », et il était inévitable que son art du chant soit hautement psychologisé. Quête permanente d’amour, désillusions, femme noire subissant le racisme et en plus la misogynie effroyable des jazzmen, autodestruction, enfance douloureuse, alcoolisme, drogue, bisexualité ont amené ses biographes à concevoir ses compositions et interprétations comme la projection des « ses propres turpitudes, un décalque sonore de son existence décousue », ainsi que le soulignent Jean Jamin et Patrick Williams dans leur excellente anthropologie du jazz[6]. L’œuvre de Lady Day se conçoit difficilement séparée de son existence, ce point est indéniable. Mais certains biographes ont poussé à ce point la psychologisation, considérant même son art comme « autoportrait acoustique », que l’œuvre de cette artiste ne semble pouvoir être conçue que dans sa causalité sociologique : femme noire, dominée, brouillée dans ses repères, agie dans son art, et instrument de sa vie.

 

Ce détour par Billie Holiday illustre la problématique quant à l’analyse à apporter de l’écoute d’une œuvre musicale, et ici du blues, dès lors qu’il faut bien considérer que cette musique, du fait de ses origines, peut facilement être perçue comme un genre dont les causalités sociologiques et anthropologiques justifieraient à elles seules les qualités esthétiques. On retrouve là les critiques que Theodor Adorno a invariablement formulé contre le jazz, musique rustique ou primitive selon lui : ce grand théoricien de la musique qui ne reconnaissait comme une œuvre musicale que les œuvres écrites, a constamment affirmé le « texte » de la partition contre l’interprétation.

 

Or, si on peut postuler que le blues comme fait musical n’est pas indépendant évidemment de logiques sociales et symboliques,  il en va ainsi de toutes les musiques — de tous les arts d’ailleurs depuis que Erwin Panofsky a pu le théoriser — et c’est bien ce qui fonde une anthropologie notamment structurale du fait musical. Toute la question est en définitive de savoir s’il s’agit d’un art ou non — ce que Theodor Adorno, dans une logique ethnocentriste contestait[7] — et quels sont les critères retenus pour éventuellement le proposer. Si l’on considère la question du point de vue d’une forme esthétique en ce qu’elle mobilise mode de pensée, et mode de création, on reconnaitra à cette musique les qualités d’un art. Dimension que l’on peut lui attribuer également en ce que, comme d’autres arts, elle porte témoignage d’une culture, et agit comme une voie d’accès à la connaissance et la compréhension d’une société, ici le peuple Noir américain.

 

L’apport de l’anthropologie structurale est de ce point de vue décisif pour comprendre non seulement les fonctions sociales et symboliques du blues, mais  aussi pour saisir  sa dimension esthétique et artistique.

 

Le blues est une musique créée par une population qui était au plus bas de l’échelle ethnique, dans le sud empoisonné et raciste des Etats-Unis. Elle est née d’un traumatisme, celui d’une population déracinée de force, arrachée à sa terre, sa culture, et à tous ses repères identitaires. Des millions d’hommes et de femmes ont participé, contraints, à la construction d’un pays, en perdant liens de parenté, identité, langue, autrement dit tout ce qui participait de leur culture originaire. Des fonctions symboliques bouleversées, remaniées, reconfigurées par les influences des fonctions symboliques d’une culture dominante ou d’autres cultures minoritaires, pour aboutir à une synthèse, finalement dynamique de toutes ces cultures.

 

La religion protestante a christianisé le peuple Noir, ce qui a produit musicalement le gospel, musique de dieu, tandis que les work songs, chansons des esclaves travaillant dans les champs de coton jetaient les prémisses du blues, musique du diable. Le peuple amérindien a aussi contribué à cette musique, de manière féconde et fortuite en recueillant, parfois pour les asservir, parfois en les intégrant véritablement, les esclaves qui passaient le bayou pour s’évader. Fusion et métissage encore de fonctions symboliques, qui ont produit une communauté, musicale notamment, les Black Indians.

 

La musique est orale, jouée avec des instruments rudimentaires, mais surtout avec le corps, qui participe de la « composition ». Comme le note David Smadja, « le véhicule naturel de cette musique est le corps humain, à travers sa voix et ses mouvements. »[1] On recommandera d’écouter un enregistrement d’Alan Lomax, ethnomusicologue et collecteur de musiques dites « indigènes », intitulé chants de prisonniers. On entend des voix qui chantent à peine, en articulant à peine aussi les mots, le rythme est imprimé en pulsations par les mains et les pieds frottés (shuffle). La musique est autant jouée qu’elle est agie, des corps en souffrance s’édifient en « personnes sonores ». Troublante et émouvante mélopée, dont l’écoute ne peut laisser insensible, tant elle témoigne de ce qui a été pour LeRoi Jones « la pire sorte d’esclavage possible ».

 

L’une des fonctions anthropologiques que l’on reconnaît à la musique est de créer, coordonner un groupe, tout en régulant les émotions. Ces work songs presque hypnotiques et vibrantes de l’accordage affectif de ces travailleurs, en témoignent ici de manière poignante.

 

De transmission en héritage, la musique se transforme, se renouvelle, et permet à des individualités de se démarquer. C’est, indique Smadja, l’individualisme sui generis du blues. « Chaque homme avait sa propre voix, sa propre façon de crier et sa propre vie comme sujet de ses chansons ».[2] Le blues trouve son inspiration et sa force émotive « dans l’individu, dans ce que sa vie et sa mort comportent d’absolument personnel »[3]. Le call and response s’institue, et se perpétuera dans le jazz via les chorus des instruments. Ce procédé, intrinsèque au blues et qui participe de son édification, consiste en des interpellations et défis musicaux que se lancent les interprètes à travers leurs compositions, et formalise un rapport musical entre eux. On en connait les développements magnifiques dans les interprétations de morceaux de blues ou de jazz, où les instrumentistes prennent tour à tour leur chorus pour composer librement autour du thème, et se répondre avec leurs instruments. Chacun a son moment solo, s’exprime, se met en valeur sans jamais nuire au collectif : le solo parle au singulier d’une musique collective. Là encore, on observe le métissage de fonctions symboliques. D’un côté, la fonction sociale de la musique africaine, qui intrinsèquement est constitutive de liens dans la communauté, de l’autre la solitude de l’homme Noir qui conjugue son expérience personnelle à l’individualisme prôné par la société blanche.

 

Des calls and responses qui font partie de l’anthologie du blues ont  opposé autant que relié des individualités, configuré et développé cette musique. Quelques monstres sacrés ont créé au nom de cette joute des compositions inoubliables. On pense notamment à Muddy Waters et Bo Diddley, qui comptent parmi les maitres de l’école primitive du blues. C’est à l’occasion de l’une de ses interpellations sur « le ring de la gamme pentatonique », que Muddy Waters a composé « I’m a man ». Chanson connotée sexuellement, comme souvent dans le blues, mais qui dit aussi un au-delà plus existentiel, à savoir qu’il est un homme, « un vrai », avec une âme. Call and response, transmission, héritage, filiation, transfert : cette chanson est reprise par une femme, Koko Taylor dans son transfert à Muddy Waters. La version qu’elle en livre, « I’m a woman », est une merveille : expressivité, revendication, affirmation de soi et mélancolie. La parfaite plasticité du blues, l’espace qu’ouvre cette musique à ceux qui veulent témoigner d’eux-mêmes, le pérennise et l’institue pleinement en mode de création artistique. Cela permet de signaler, et justifierait d’ailleurs de plus amples développements, que ce sont les femmes qui ont été les plus grandes interprètes de blues classique. Moins itinérantes que les hommes, elles ont donné une voix à leurs « chagrins intimes ».[4] Ces femmes esclaves étaient pour certaines asservies aussi sexuellement, et elles ont été nombreuses, comme le précise LeRoi Jones, à tuer leurs enfants en les étouffant, « afin de leur épargner les tourments de l’esclavage ».[5]

 

Certains titres, que l’on peut écouter sur les sites d’écoute en ligne, ont connu une belle postérité, quoique leurs compositeurs originaires restent méconnus du grand public. « 29 ways », de l’excellent contrebassiste Willie Dixon, a été repris par Marc Cohn, qui en livre une version intéressante et « modernisée ». C’est un titre que la fameuse Koko Taylor a chanté aussi, merveilleusement. A écouter absolument.

 

En 2000, Moby chante un tube « planétaire » : « Natural Blues ». C’est un titre chanté en 1937 par une autre chanteuse de blues classique, Vera Hall, « Trouble so hard », une merveille du genre encore, portée par la voix inspirée de cette interprète. Dixon, Hall, Taylor, tant d’autres encore chantent leurs compositions avec inspiration, intensité et élégance. L’auditeur même s’il n’est pas connaisseur, remarquera que la partie instrumentale est réduite au minimum, que c’est l’expressivité individuelle de l’artiste qui compte et donne toute sa force et sa grâce à la composition.

 

Un exemple illustre particulièrement le propos, c’est le titre « Tramp », chanté par le guitariste Lowell Fulsom. L’orchestration est réduite à sa plus simple expression, basse, batterie, guitare, mais c’est la voix, expressive et inspirée du chanteur qui donne toute sa substance, sa densité, et son charme « démoniaque » à la composition. Une voix qui est nimbée d’ironie un peu bravache, qui semble lancer un défi. Exemplaire de ce côté typiquement « hussard » du blues : un minimum de moyens pour un maximum d’effets.

 

Il serait injuste d’oublier un des artistes qui a été l’un des  fondateurs du blues, Robert Johnson. Son titre, « Love in vain », qu’il chante magnifiquement avec sa guitare (ajoutant une partie basse à la ligne mélodique), a été repris par les Rolling Stones, groupe qui a toujours affirmé son affiliation au blues, et qui pour cette raison a toujours veillé à rendre hommage à cette musique, notamment au cours de sessions musicales d’anthologie avec des bluesmen. Ironie de l’histoire, Robert Johnson a été celui qui a « inauguré » la liste des musiciens morts à l’âge de 27 ans, avant Jimi Hendrix (Black Indian d’origine d’ailleurs), Janis Joplin, Jim Morrison[6].

 

Transmission, héritage d’histoires qui se racontent en chansons et chants, qui sont répétées, remaniées, interprétées subjectivement par leurs interprètes successifs, qui constituent au fur et à mesure de ces productions intellectuelles une communauté rattachée à une histoire bouleversée par un crime originel constituent autant d’éléments organiques du mythe ou du récit mythique, au sens de Lévi-Strauss pour qui l’œuvre musicale constitue une mise en forme symbolique.

 

Rappelons que pour Lévi-Strauss, la « musique est un mythe codé en sons au lieu de mots »[7], c’est-à-dire une communication réelle et infra-linguistique, qui exerce comme le mythe ou le récit mythique des fonctions symboliques. Dans un entretien rapporté par la revue Musique en jeu de 1973, Lévi-Strauss relève que dans certaines sociétés « il serait impossible de raconter ou faire voir le mythe s’il n’y avait pas la musique », et que dans ces sociétés, la musique « est une partie du mythe »[8]. Il peut être envisagé de comprendre le blues dans cette perspective : moyen empirique de communiquer une part de l’existence de l’esclave noir, musique qui n’est pas un art appris mais l’expression d’un penchant naturel, musique issue de vieilles racines, musique qui dans ses origines est purement fonctionnelle et n’obéit à aucune considération artistique (à la différence de la musique occidentale).

 

Il est à cet égard assez significatif de remarquer que Lévi-Strauss parle de « formes musicales » et de « fonction mythique », et que, comme le constate David Ledent, il s’agit alors de raisonner non plus « en termes de systèmes symboliques mais de formes symboliques comme activités de l’esprit qui expriment une fonction symbolique pouvant faire époque »[9].

 

Penser le blues comme mise en forme symbolique exprimant une fonction symbolique « pouvant faire époque », implique d’en saisir la forme musicale dans le cadre culturel qui l’a vu naitre, ici dans une logique sociale et symbolique inédite. Quelques éléments stylistiques, formels, compositionnels et descriptifs sont nécessaires à cette observation.

 

Le blues s’est construit d’une articulation dialectique complexe autour d’antagonismes ou d’oppositions… et de leurs renversements : blanc/noir, société primitive/société civilisée, individualisme/collectif, ordre/désordre, harmonie/dysharmonie, dominant/dominé[10].

 

Du point de vue de l’harmonie d’abord, la gamme du blues crée une ambiguïté acoustique. Avec le blues, apparait la blue note. Le terme « blue » est né de l’abréviation d’une expression anglaise, blue devils, soit diables bleus qui signifie idées noires. Formellement, le blues consiste en une séquence de douze mesures composées de trois phrases, selon un schéma AAB, fondé sur les accords des premier, quatrième et cinquième degré de la gamme. La blue note est une altération de l’une de ces notes. Les musicologues s’accordent pour considérer que ces blue notes sont des degrés incertains et indéfinis. Suivant André Hodeir[11], cet infléchissement vers le grave entraîne un « brouillage » entre mode majeur et mode mineur. La gamme tempérée occidentale est donc altérée dans sa structure. Ou plus exactement résulte de l’hybridation de deux systèmes tonals, l’africain et l’européen. Le premier est pentatonique, cinq degrés, le second compte sept degrés. La gamme du blues est pentatonique et « adapte » les troisième et septième degrés en les infléchissant d’un demi-ton. Il en résulte une ambiguïté du climat harmonique et expressif de cette musique où s’entremêlent deux tonalités, majeure et mineure. C’est une musique qui, selon ses commentateurs, « transcode mélodiquement, harmoniquement une histoire d’exil, d’appartenance brouillée ».[12] Cette « hybridation harmonique », sera accompagnée d’une reconfiguration rythmique avec l’utilisation de la syncope, dont l’art éminemment complexe sera porté aux cimes avec le jazz.

 

La syncope brise le rythme de façon « accidentelle ». Cela permet de mettre l’accent sur certaines notes et d’amplifier la sensation auditive. Le rythme joue alors de l’asymétrie et de la discontinuité en renversant les points d’appui, et bien sûr la métrique occidentale. La syncope, « dérobade efficace » selon Jacques Réda[13], instaure acoustiquement un brouillage des repères en jouant de l’inversion temps faible/temps fort. Les spécialistes s’accordent pour reconnaître que les survivances les plus manifestes de l’Afrique dans la musique afro-américaine sont ses rythmes, notamment, comme le note LeRoi Jones, dans « l’emploi d’effets rythmiques polyphoniques et contrapuntiques »[14]. Alors que certains théoriciens de la musique considéraient ces effets comme primitifs, il est intéressant de remarquer que le jeu des percussions en Afrique était d’un usage extrêmement sophistiqué, puisque le tambour ne servait pas à émettre une sorte de « morse primitif », selon l’expression de Leroi Jones, mais une reproduction phonétique de mots entiers. Gilbert Rouget, au cours de l’entretien avec Lévi-Strauss rapporté dans le revue Musique en jeu, en parle également : « Une musique de tambour pour l’étranger (…) est une musique rythmique qui a plus ou moins d’intérêt ; mais pour l’auditoire, ce n’est pas seulement ça, ce sont des tambours qui récitent des formules (…) des salutations, qui parlent »[15].

 

Par ailleurs, les musiciens de blues dès qu’ils ont pu jouer des instruments, et cela s’est confirmé avec le jazz, ne les ont pas utilisés comme les Occidentaux. Ils les font « parler » comme des voix humaines, y compris dans des sonorités qui paraissaient incongrues du point de vue de l’Occidental. On voit là encore la grande lucidité sociale des musiciens Noirs, qui intègrent de nouvelles coordonnées musicales avec l’instrument, tout en l’exploitant avec leurs repères culturels originaires. Le blues, musique vocale à l’origine, s’adapte aux possibilités de l’instrument. Comme le note LeRoi Jones, lorsque l’influence instrumentale commence à apparaître, il s’agit pour les musiciens de faire sonner l’instrument « à l’imitation de la voix humaine et de son étrange cacophonie »[16]. Charlie Parker lui-même considérait qu’il n’y avait aucune séparation entre lui et son saxophone.

 

Là encore, il faut observer quelle est la fonction sociale et symbolique de la musique dans la culture africaine. La musique, sur ce continent est purement fonctionnelle, elle sert à exprimer une situation vécue, une situation personnelle, à l’inverse de la musique occidentale classique, très orientée formellement et esthétiquement, écrite, enseignée et moins spontanée. Pour M. Borneman, cité par LeRoi Jones : « Alors que toute la tradition européenne cherche la régularité dans le ton, le temps, le timbre et le vibrato, la tradition africaine tend précisément à nier ces éléments (…) aucune note n’est attaquée franchement, la voix ou l’instrument l’aborde toujours par en dessus ou en dessous, contourne le ton implicite sans jamais s’y attarder, et l’abandonne sans jamais s’y attarder »[17]. On sait ce que le jazz doit à cette esthétique musicale.

 

Au cours du concert évoqué plus haut, les musiciens, sur la base d’une mélodie, ont joué des improvisations. Il s’agit là encore d’un aspect important de la musique africaine, qui se perpétue, dans de constants renouvellements dans le jazz : la technique de l’antienne. Un soliste chante, le thème est repris par le chœur en improvisation dont la durée est variable et peut être relancée par le soliste. Cette technique est reprise dans les work songs, et se déclinera dans le blues orchestré, puis le jazz, qui se construit essentiellement de l’improvisation tant décriée par Theodor Adorno.

 

L’ensemble de ces hybridations, reconfigurations, participent avec l’expressionisme des chants religieux à un objet sonore nouveau, qui bouleverse l’esthétique musicale de l’époque. Le blues « magnifique amalgame d’influences » et plus « pure expression de l’âme noire » selon LeRoi Jones invente puis impose de nouvelles formes et pratiques musicales : harmoniquement, rythmiquement, expressivement et « orchestrativement ».

 

Erwin Panofsky, un  grand structuraliste  selon Lévi-Strauss, a dans son ouvrage majeur La perspective comme forme symbolique[18], analysé la perspective dans l’œuvre picturale comme une forme esthétique dont les modalités de réalisation étaient culturelles et sociales, et donc symboliques. Il mettait ainsi à jour les affinités structurales entre les modes de représentation dans l’art pictural et les modes de pensée, et repéré une révolution des sensibilités permettant un renouvellement de l’expression artistique. Proposer une complète formulation de l’anthropologie du blues comme fait musical et esthétique, nécessite de considérer cette thèse fondatrice. Le contexte contemporain très polyphonique, où l’écoute s’est familiarisée à une variété de sons, chants, rythmes, ne permet pas de penser la particulière modernité du blues à l’époque où il fut conçu… et pourtant : un peuple, le peuple Noir persistant sur ses fonctions symboliques originaires, combinant celles-ci aux fonctions symboliques du peuple Blanc, a produit, au prix d’un insoupçonnable effort de création de sens une nouvelle forme esthétique. Sens de la conquête pour des colons esclavagistes, contre conquête de sens d’une population traumatisée par un exil forcé. Le blues est une musique, du point de vue de l’anthropologie structurale qui nous permet d’en repérer les fonctions symboliques originaires et secondaires, une forme esthétique au sens d’un mode de pensée participant de son mode de création, et au-delà même une mise en forme symbolique : cette musique a profondément redessiné le paysage musical en même temps qu’elle a participé de la citoyenneté du peuple Noir.

 

Lévi-Strauss dans son anthropologie du fait musical a prévenu : la musique qui est hors du sens linguistique — d’où sa formule « la musique est un langage moins le sens »[19] —, est, notamment du fait qu’elle convoque fonction symbolique et fonction affective, « le suprême mystère des sciences de l’homme ». La musique convoque le vécu affectif de son auditeur, mais il comptait pour Lévi-Strauss au nom d’une condition impérative de positivité de répudier le « vécu », quitte à « le réintégrer par la suite dans une synthèse objective. »[20]

 

« Je ne méconnais pas l’importance de la vie affective. Je refuse seulement de démissionner devant elle et de m’abandonner en sa présence à cette forme de mysticisme qui proclame le caractère intuitif et ineffable des sentiments »[21]. C’est ainsi que lorsqu’il propose une analogie mythe/musique, Lévi-Strauss récuse toute « complaisance métaphysique ». « Mythe codé en sons au lieu de mots, l’œuvre musicale fournit une grille de déchiffrement, une matrice de rapports qui filtre et organise l’expérience vécue, se substitue à elle et procure l’illusion bienfaisante que des contradictions peuvent être surmontées et des difficultés résolues »[22]. La proposition, même complétée de l’idée de l’œuvre musicale comme « image et schème », n’épuise pas le mystère du fait musical qui  reste à la confluence de l’expérience logique du sensible et de l’expérience sensible du logique. Mais elle rend au mieux compte de la tangence entre expression esthétique et communication d’un sens.

 

Aller à un concert, c’est vouloir vivre une expérience musicale, profiter de la joie de l’écoute, la partager avec un public dans le lien affiliatif d’une petite foule d’amateurs. C’est aussi basculer dans une autre temporalité, être touché par l’émotion musicale et vivre les effets qu’elle produit dans le corps.

 

La musique « commet » en effet le miracle de produire des effets dans les corps de ses auditeurs, allant, pour celui des Campbell Brothers, de la retenue pudique d’une émotion mélancolique à l’expression physique de tensions cathartiques. L’œuvre musicale n’est pas qu’un son, il s’agit de sons transformés de manière synesthésiques en sens, qui prennent au corps, substance jouissante.

 

L’anthropologie ne peut pas rendre compte des effets synesthésiques produits par la musique. Pas de complaisance métaphysique dans le repérage proposé du récit mythique, des critères esthétiques révélateurs de fonctions sociales et symboliques au titre de la forme symbolique, mais rien qui ne rende compte définitivement du sensible et des affects. Tout au plus Lévi-Strauss conçoit-il le sujet sensible au plaisir musical comme un être éprouvant « un sentiment de gratitude envers la musique qui le comble », voire une  « unanimité organique », pour en conclure que « la joie musicale, c’est alors celle de l’âme invitée pour une fois à se reconnaître dans le corps »[23].

 

La théorie psychanalytique rend compte aussi difficilement du « prodige que le plus intellectuel des sens, l’ouïe, normalement asservie au langage articulé »[24], puisse à l’écoute d’une œuvre musicale susciter de tels mécanismes psycho-physiologiques, même si dans une certaine mesure, grâce à Lacan — pour qui la langue est première, pas le langage —  le concept de la lalangue permet de penser la valeur de jouissance de la musique, comme marque de la jouissance de l’autre. La musique prend au corps, produit l’effet du signifiant sur le corps, elle est expérience de la consistance du corps pris dans le signifiant. Elle témoigne, autrement dit, avec des particularités qui l’affranchissent de l’arbitraire du rapport signifiant/signifié, de l’efficacité du langage sur le corps, pris comme substance jouissante.

 

Depuis quelques années, une science universaliste appelée bio-musicologie est née, et a pour objet de rendre compte de l’universalité de la musique, autant que du mystère qui l’entoure. Les bio-musicologues, qui envisagent notamment la musique comme une « technologie du lien social » postulent qu’à l’origine langage et musique ne faisaient qu’un (ce que l’on peut dire du blues d’ailleurs). Ce « musilangage » (dénomination choisie par ces spécialistes) aurait été composé de formes lexicales associées à des intonations expressives. Dans l’histoire de l’humanité la part musicale se serait autonomisée par rapport au lexical : musique du côté émotionnel, langage du côté référentiel.

 

Le mystère du fait musical demeure, même si l’on peut dégager, grâce à l’anthropologie structurale les fonctions symboliques de la musique. Le blues, à ce titre, est un genre particulièrement exemplaire de la portée de cette anthropologie. La musique est un objet qui ne permet pas d’évincer le vécu, l’objectivité, l’affectivité de son auditeur. C’est un objet qui par essence conjugue fonction symbolique et fonction affective, participe d’un « moi mythique ». Conjonction et moi mythique contre lesquels les compositeurs de musique savante contemporaine ou sérielle, ont tenté  de construire leurs compositions (atonalité, répudiation de l’instrumentalité, abstraction, absence de musicalité, réduction du langage à un seul de ses termes : la parole, pas de vécu subjectif de l’auditeur). Pour l’essentiel, il s’agissait pour eux de déconstruire la musicalité de leurs œuvres afin que le système de sons soit considéré pour lui-même et sans complaisance pour les attitudes mentales de l’auditeur. Lévi-Strauss dans ce débat est resté structuraliste, sans lâcher sur « l’illusion bienfaisante ».

 

On conviendra, évidemment du côté de Lévi-Strauss, qu’avec la musique, la sensibilité « se trouve (…) investie d’une fonction supérieure »[25], que la musique convoque particulièrement l’imaginaire, tout comme le mythe, qu’elle a l’efficacité d’un langage sur le corps, et qu’elle renvoie, là encore comme le mythe, tout sujet à son désir de consistance.

 

C’est probablement autour de ce désir de consistance que le blues a pu et su particulièrement s’exprimer, et que cette musique a pu connaître de tels développements, puis une telle postérité. Pour considérer la question du point de vue d’une anthropologie psychanalytique, on peut aussi considérer que le succès de cette musique n’est pas étranger à ce qu’elle évoque, les vécus très anciens, le trauma, et leur dépassement, confirmant la proposition de Lévi- Strauss quand il parle de la musique comme « illusion bienfaisante que des contradictions peuvent être surmontées et des difficultés résolues ».

 

Il reste qu’un concert de blues aux influences gospel à Paris, joué magistralement par des musiciens enthousiasmants et inspirés, a offert la possibilité d’une réactualisation de l’anthropologie structurale du fait musical de Lévi-Strauss, de voir que cette anthropologie pensée pour la musique savante est d’une « plasticité » suffisamment rigoureuse pour analyser un genre musical différent, qui par son étonnante modernité et ses riches qualités expressives a révolutionné fondamentalement la sensibilité du monde musical à travers la nouveauté de son esthétique.

 

Réactualiser l’anthropologie musicale, mais aussi grâce à elle, penser du côté de leurs compositeurs et interprètes ce que peuvent être les fonctions sociales de la musique. Le blues illustre exemplairement ces fonctions, probablement mieux même qu’aucune autre musique : le blues à ses origines était une musique fonctionnelle, à ce titre elle n’obéissait à aucune commande, artistique notamment ; intrinsèquement elle ne poursuivait pas de buts esthétiques, et permettait à ceux qui la créaient de faire tenir leur être, d’avoir une consistance, de créer une communauté, de perpétuer l’héritage d’un passé. C’est une musique qui a su montrer qu’il est impossible d’anéantir l’expression d’une culture. Même si cette culture n’était qu’une enclave de sociétés primitives au cœur de la modernité. Le blues ne pouvait mieux illustrer aussi la fonction sociale et symbolique de la musique, dans ce qu’elle produit de repères tangibles et intelligibles pour ses compositeurs et interprètes, et à travers eux, à la communauté à qui elle s’adresse. Une musique où se sont associés dépassement et conservation de la culture africaine pour maintenir un régime symbolique, et porter socialement un individu à la citoyenneté :

« sono ergo sum ».

 

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[1]David Smadja, « Variations sur le jazz et la politique » in Raisons politiques. 2004/2, Presses de Sciences Po.

[2]LeRoi Jones, op. cit., p. 101.

[3]Id., p. 107.

[4]Id., p. 141-147.

[5]Id., p. 33.

[6]Christian Ravasco, La légende Robert Johnson racontée par le Diable, Ed. Camion noir, 2009.

[7]Claude Lévi-Strauss, Les mythologiques – L’homme nu (1971), Ed. Plon, 2009, p. 589-590.

[8]Musique en jeu, « Autour de Lévi-Strauss », 1973, p.107-108.

[9]David Ledent, « Claude Lévi-Strauss et les formes symboliques de la musique » in L’Homme 2012/1, Ed. de l’EHESS.

[10]David Smadja dans son texte « Variation sur le jazz et la politique », postule le caractère universel du jazz construit sur des oppositions à travers lesquelles jazz et politique se définissent réciproquement : Afrique/Amérique, sociétés primitives/sociétés occidentales, holisme/individualisme.

[11]André Hodeir, Les cahiers du jazz,1994, p.13-20. Cité par Jean Jamin et Patrick Williams, op. cit., p.150.

[12]LeRoi Jones, Le peuple du blues,op. cit., p. 51-59.

[13]Jacques Réda, « Battement », cité par Jean Jamin et Patrick Wiiliams in op. cit., p. 27

[14]LeRoi Jones, op. cit., p. 51.

[15]Musique en jeu, « Autour de Lévi-Strauss », 1973.

[16]LeRoi Jones, op. cit., p. 111.

[17]Id., p. 59.

[18]Erwin Panofsky, La perspective comme forme symbolique, Paris, Editions de minuit, 1975. Cf. p. 78 : « si la perspective n’est pas un facteur de la valeur artistique, du moins est-elle un facteur de style (…) mieux encore, on peut la désigner comme une de ces formes symboliques grâce auxquelles un contenu signifiant d’ordre intelligible s’attache à un signe concret d’ordre sensible pour s’identifier à lui » (référence à E. Cassirer).

[19]Claude Lévi-Strauss, L’homme nu, op. cit., p. 579

[20]Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Plon, 1955, p. 63

[21]Claude Lévi-Strauss, L’homme nu, op. cit., p. 596

[22]Idem, p. 589-590.

[23]Idem, p. 587

[24]Ibidem.

[25]Ibidem.

 

[1]Claude Lévi-Strauss, Les mythologiques – le cru et le cuit, Ed. Plon, 1964, p. 26.

[2]LeRoi Jones, Le peuple du blues, Gallimard Folio,1968.

[3]Idem, p. 73.

[4]LeRoi Jones dans son livre utilise souvent le mot Noir avec majuscule. Parti pris que l’on peut considérer, pour quelqu’un qui est particulièrement engagé dans la « révolution noire », comme la volonté de revendiquer cette identité avec fierté et détermination. Son livre est une référence bibliographique indispensable pour qui s’intéresse au blues et au jazz. LeRoi Jones dans ce livre développe les conditions dans lesquelles l’esclave Noir a pu devenir citoyen et de quelle manière le blues a été « la musique de [cet] esclave citoyen ». Le mot Blanc est parfois écrit sans majuscule, comme si l’auteur entérinait un renversement des rapports dominants/dominés qui ont institué les conditions de l’esclavage. Ces partis pris seront reconduits dans cet article, dans le souci d’abord de respecter l’esprit de ce livre précis et précieux dans son témoignage, et de son auteur. Parti pris aussi de refléter que le blues n’a pas été seulement un « genre » musical, mais a agi comme un fait de société, « chemin pris par l’esclave pour arriver à la citoyenneté ». Parti pris in fine de la bienveillance et de la confiance du lecteur, qui comprendra que cet article n’induit à aucun moment de quelconques préjugés racistes ou ethniques : comme le dit LeRoi Jones « le début du blues (est) un des débuts du Noir américain ».

[5]LeRoi Jones, op. cit., p. 78.

[6]Jean Jamin, Patrick Williams, Une anthropologie du jazz, CNRS Editions, Paris, 2010 ; en part. chap. II et p. 149-151.

[7]Théodor Adorno, Théories esthétiques, Paris, Klincksieck, 1995.