« Le symptôme et l’esprit du temps… »

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« Le symptôme et l’esprit du temps… »


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Markos ZAFIROPOULOS, « Le symptôme et l’esprit du temps… »

Maria OTERO ROSSI

Markos Zafiropoulos nous propose dans ce deuxième volet[1] un travail sur la spécificité des troubles de la modernité à partir d’une clinique qui cherche à confirmer la permanence des structures cliniques freudiennes. Le symptôme et l’esprit du temps : Sophie la menteuse, la mélancolie de Pascal… et autres contes freudiens est le résultat d’une recherche qui part de la clinique du cas pour arriver à la clinique de la culture, tandis que son premier essai était dédié à la clinique de la culture en se basant sur des données précises issues de la sociologie et d’autres sciences sociales.

Dans le premier volume donc, l’auteur réfutait avec des arguments issus d’une démarche méthodologique rigoureuse la théorie dite « évolutionniste » qui prétend rendre compte de « nouveaux symptômes » en ayant recours à l’explication – jamais prouvée par l’anthropologie, la démographie ou l’histoire – du déclin du père et donc, du symbolique. Ici, l’auteur nous rappelait la place privilégiée que conserve le père mort dans la modernité tardive, et qui se trouve au ressort des institutions et de leur fonctionnement dans les domaines du politique, du religieux et des crimes de masse, toujours perpétrés au nom du père et d’une bien triste actualité.

Ce courant de la psychanalyse « évolutionniste », en proposant des conceptions qui supposent la disparition de structures freudiennes du sujet de la modernité, rendent au total obsolète la théorie de Freud. Le risque étant alors de céder sur l’optique de Freud et de remplacer de cette manière les catégories freudiennes par des catégories issues du discours social.

Et nous voici au cœur de cette nouvelle publication, qui répond à la nécessité de contester ce discours. Nous trouvons ici les arguments majeurs qui prouvent par l’objet d’étude – la clinique du cas dans l’actualité – toute la fécondité et l’actualité heuristique de la théorie freudienne des structures subjectives : névrose, psychose et perversion. Structures reprises et relues par Jacques Lacan et qui rendent compte des formations de l’inconscient du sujet.

En suivant la clinique du cas, Markos Zafiropoulos actualise dans le champ analytique la lecture des manifestations symptomatiques – formations toujours structurées par les lois du champ de la parole et du langage – qui portent en elles « l’esprit du temps » de la culture. Esprit du temps qui se manifeste dans ses modes de présentation, ce que Lacan appelait « l’enveloppe formelle » du symptôme qui peut être toujours rapportée aux mécanismes inconscients formulés par Freud et qui se trouvent à l’origine de sa clinique différentielle.

Ce deuxième volume vient donc compléter le premier en montrant toute l’actualité du corpus freudien a contrario de ce qui est proposé par une certaine lecture du malaise actuel. Voilà pourquoi l’analyse de l’usage de drogues vient en premier lieu, car il est considéré par l’évolutionnisme comme un paradigme des nouveaux symptômes qui viendraient illustrer la prolifération d’états limites dans nos sociétés.

En suivant la tradition de recherche en sciences sociales qui est la sienne, Markos Zafiropoulos, avec une rigueur méthodologique qui est bienvenue en ce temps, réfute cette prolifération en resituant l’usage de drogues comme objet de recherche. Il opère une transformation lexicale qui déplace la notion de toxicomanie à celle de « manie-des-toxiques » répondant à une organisation névrotique plutôt qu’à une hypothétique existence des états-limites. Si du côté masculin l’auteur identifie une mélancolisation comme envers de la manie des toxiques, il aborde ensuite la question féminine de l’usage des drogues, plus volontiers traitée par les antidépresseurs.

En proposant un exemple très clair de déconstruction épistémologique des catégories issues du discours social, l’auteur affirme : « le toxicomane n’existe pas », et invite le lecteur à concevoir :

– la consommation des drogues comme un symptôme, dont la place dans l’économie libidinale du sujet est à lire dans le cadre du transfert et à rapporter à « l’agencement des structures subjectives comme à celles des formations sociales »,

– à déchiffrer le point où le symptôme se trouve noué à la structure subjective du sujet et à son univers symbolique.

Suivent des essais cliniques, fruits d’une expérience forte de plus de trente ans. Ainsi, comme un bel exemple de dialogue scientifique, nous pouvons lire l’envers inconscient des études biologiques sur le sommeil. Si de son côté la biologie explique les particularités de l’architecture du sommeil chez le sujet déprimé, l’optique freudienne explique quant à elle les troubles mélancoliques que produisent les insomnies et les cauchemars des sujets déprimés. Dialogue scientifique très fécond donc, qui montre qu’il est vain d’opposer la science à la psychanalyse.

Après avoir déconstruit la structure spécifique du toxicomane (usage de drogues que l’on peut rencontrer aussi bien chez des sujets névrosés que psychotiques, tel que le rappelle l’auteur) et qui démontre à partir de l’analyse de la place de la drogue dans deux cas de névroses (dont l’analyse du recours massif aux psychotropes du côté féminin) et dans un cas de psychose, Markos Zafiropoulos nous présente – avec le cas de Sébastien – la clinique du masochisme. Avec l’analyse de Sophie, et surtout de sa mère Espion, l’auteur nous montre les motivations inconscientes – et collectives – d’un genre littéraire bien particulier : le journal intime.

Enfin, l’analyse de la culture, où l’on trouve les ressorts fétichistes de la production d’objets, est illustrée par l’analyse du cas de Gaël et sa passion pour l’alcool et l’odeur du cuir. En suivant la logique de la fabrique d’objets de la culture (dont le paradigme est la production de fétiche) l’auteur fait le point sur la différence entre l’objet de la phobie et celui de la perversion. Est également traitée dans cet ouvrage la question de la naissance du héros à partir de l’analyse initiale d’Otto Rank, analyse qui a donné l’opportunité à Freud de formaliser le fantasme repéré chez des névrosés, le roman familial, ainsi que les différentes interprétations qu’en fera Jacques Lacan. Le dernier essai est dédié à la question du transfert lue par Lacan, qu’il situe dans « l’école de l’amour grec ».

C’est avec des exemples bien précis que Markos Zafiropoulos nous rappelle que d’un point de vue épistémologique, le symptôme n’est naturellement ni médical, ni religieux ni psychanalytique mais que c’est le lieu d’adresse du symptôme qui lui donne son statut.

En tentant de faire valoir au sein même de la particularité du cas le jeu de la structure, Markos Zafiropoulos postule avec force l’actualité heuristique que gardent les structures subjectives qui organisent le fonctionnement du sujet définies par Freud : l’hystérie, la névrose obsessionnelle, la psychose et les perversions. C’est donc à partir de l’analyse de la structure que la psychanalyse peut assurer sa place parmi les autres sciences sociales.

[1] M. ZAFIROPOULOS, Du Père mort au déclin du père de famille. Essais d’anthropologie psychanalytique I, PUF, Paris, 2014.